Prologue ou Histoire de la fille qui ratait tout

Je ressens le besoin d'écrire mon histoire, de me raconter, comme si j'avais besoin des mots pour me sortir d'une impasse, d'un mal être, d'une incapacité à aller de l'avant. J'ai l'impression d'avoir fini un cycle, d'avoir bouclé une boucle, et d'en avoir saisi le mécanisme, de cette boucle, comme un système complexe et bien rodé dont on finit par percevoir le fonctionnement.

Et à trente ans – trente deux exactement – je crois que je peux le dire, j'en suis là, à ce moment de ma vie où je commence à comprendre mon fonctionnement. J'ai découvert qui j'étais : la fille qui rate tout.

mercredi 31 octobre 2012

Sexe - Fuis-moi je te suis ; suis-moi je te fuis

Imaginez des beaux gâteaux appétissants qui défilent devant vos yeux sans que vous n'arriviez à en attraper un pour le dévorer à pleines dents. C'est toute la complexité de ma vie sentimentale. Depuis que le mot « sexe » fait partie de mon vocabulaire, qu'il n'est plus tabou, mon corps s'autorise à montrer ses émotions, à se laisser séduire. C'est comme ça que j'ai pu enfin éveiller la curiosité des hommes qui me plaisaient. Avant j'étais transparente ou alors considérée comme un extra-terrestre. J'ai séduit, enfin ! Mon corps a fini par comprendre qu'il possédait un don, celui de pouvoir attirer la gent masculine. Mais dans mes tentatives maladroites, rien ne s'est jamais passé comme je le voulais. Mes peurs toujours aux aguets ont bien veillé à me pourrir la vie et à me faire fuir ce qui pouvait me libérer. Je vous ai fuis Matthieu, Antoine, Stéphane... Comme j'ai fui les mains qu'on me tendait, les réponses à mes signaux de détresse. Peur d'être rejetée ? De pas être à la hauteur ? Un peu de tout cela. Mais je me suis épuisée moralement et physiquement à espérer toujours et encore.

Car j'ai espéré, désespérément. Mon âme de petite fille, puis de jeune fille, de jeune femme et de femme a espéré avidement, romantiquement.

Je me souviens de ce jour où je rentrais de la fac de médecine, en traversant le parc, comme chaque jour. Je marchais nonchalamment, un peu pressée de retrouver mon chez-moi pour souffler, goûter, me distraire. À l'époque, j'étais tellement mal dans ma peau que je me nourrissais de complexes que j'entretenais à m'en faire pleurer très souvent. Mais en traversant le parc, ce soir-là, je revois ce petit morceau de papier avec cette phrase écrite à la main : « Vous êtes belle ». Je ne savais pas à qui était destinée cette phrase, ni même comment elle était arrivée, là, échue sur le gravier de l'allée du parc, mais, elle m'a ravigotée pendant quelques instants. C'était comme si elle m'était destinée, à moi et rien qu'à moi. Comme si quelqu'un m'avait observée et avait scrupuleusement placé ce petit mot sur mon passage. J'ai vécu sur un nuage de romantisme tout le long de ma traversée du parc et bien des jours après.

Voilà un exemple de la puissance de mon désespoir, à cette époque, qui pouvait facilement me faire prendre des vessies pour des lanternes.

Mon esprit me joue encore des tours à l'époque actuelle, comme s'il voulait que je ne renie pas ce côté romantique et éperdu d'amour que mes complexes m'ont fait cultiver. C'est avec Matthieu que cela s'est le plus exprimé l'année passée. Je pourrais écrire un roman à l'eau de rose d'anecdotes vécues, en omettant la part de hasard et de fantasmé. Un soir que nous travaillions ensemble, je remontais le couloir qui menait de l'infirmerie à la salle des éducateurs et je croise une résidente, Joséphine. Au même moment, Matthieu entre dans mon champ de vision, face à moi, et fait en regardant Joséphine : « Si tu as besoin de moi, tu m'appelles, hein ? » Évidemment qu'il s'adressait à Joséphine, mais dans ma tête, Joséphine, c'était moi, parce que, oui, là, c'était bien moi qui avait autant si ce n'est plus besoin de lui. La vie joue des tours comme ça, elle s'amuse à jouer avec nos états d'âme, nos besoins, nos fragilités. Dans la salle du personnel, encore une fois, comme ça, en réunion, nous parlions d'un jeune handicapé qui avait maille à partir avec sa douce, une résidente, avec qui il formait un « couple ». Il s'agissait d'une histoire d'amour où l'un avait tellement d'emprise sur l'autre qu'il le faisait souffrir. Je ne me souviens que de cette phrase de Matthieu, parlant de ces deux résidents, en s'adressant à moi (ou alors est-ce encore une construction de mon esprit) : « Ils ont des choses à vivre, ensemble ». Mon hypersensibilité sentimentale m'a immédiatement fait tirer partie à son avantage de cette situation. Je passais dans un continuum espace-temps où les rôles étaient inversés. Il ne s'agissait plus de ces deux résidents, mais de moi et de lui. Mon imagination prolixe s'accaparait tout de suite le version fleur bleue. Heureusement que je n'ai pas répondu de vive voix, mais franchement, j'étais à deux doigts.

Il fallut aussi un autre soir qu'il passât à côté de la table où j'étais assise avec quelques résidents qui dessinaient. Il commence à jeter un œil sur les dessins, depuis le bout de la table où il était jusqu'à l'autre extrémité de celle-ci où j'étais moi-même assise près d'une résidente. Il y va de son commentaire au fur et à mesure qu'il remonte la tablée : « Oh il est joli ton bonhomme, Sabrina ! Très jolies tes fleurs, Amandine ! Super, Vanessa, ta maison ! » Il m'a semblé qu'il n'avait pas commenté le dernier dessin, que j'avais sous les yeux, comme un étendard que j'aurais brandi sous son nez si l'on avait été dans un film de Tim Burton : un joli cœur tout rose.

J'étais prête à écrire des scénarios chez Harlequin.

Merci la vie. Tu te joues de nous, tu t'amuses à créer des situations ambiguës. Mais tu devrais savoir que pour un petit cœur comme le mien, ça peut faire plus de dégâts que de bien et que c'est encore pire lorsque l'on est déprimé car dans ces moments-là, tellement accaparé par soi que l'on est, on a tendance à tout ramener à soi. Si je parle enfin de cette dernière situation, c'est pour montrer à quel point la vie a voulu me faire craquer, oui, c'est ça, elle a voulu me faire craquer, lorsque j'ai accompagné des résidents au cinéma avec Matthieu : le film choisi, c'était les Émotifs anonymes avec Isabelle Carré et Benoît Poelvorde. L'histoire d'une jeune fille extrêmement émotive, malmenée par ses accès émotifs. À la sortie du film, pendant lequel bien sûr, je n'ai manqué de faire le rapprochement entre les problèmes émotionnels de l'héroïne et les miens, il fallut que Matthieu fume sa clope et me dise qu'il trouvait Isabelle Carré vraiment très jolie. Je suis sûre que j'ai rougi, quand bien même il ne parlait absolument pas de moi.

Mon avidité sentimentale, elle, me faisait et me fait encore saisir chaque opportunité pour tourner le film de ses fantasmes, c'est dingue.

Alors, j'ai compris. Oui, c'est là que j'ai compris que j'avais la sensibilité affective d'une gamine de quinze ans. Prends ça dans la tronche, déjà. Assimile. Une petite fille qui découvre les sentiments et les sensations amoureux.

Évidemment, cette faiblesse, si elle n'est pas vite transformée en force te fracasse contre le mur du réel. Je n'irai pas jusqu'à dire que ma vie sexuelle est à l'origine de mon échec professionnel, enfin de mon incapacité à me projeter dans une vie professionnelle, mais je serais tentée, tout du moins, elle y a participé. La fille qui ratait tout, sponsorisée par les préservatifs Manix. Il faudra y penser...

Suis-je maintenant dans la catégorie, « recueille le fruit de ses multiples ratages affectifs » ? Vit sur ses « regrets » et habitée par l'échec et le désespoir de n'avoir un jour une vie sexuelle épanouie ? Peut-être

J'ai donc beaucoup quitté, pas seulement les situations, les gens aussi. Je les ai fuis, pour ne pas leur faire subir mes ratés émotifs. Et j'ai fui pour me protéger. Les gens que j'aimais...

Allez, la page est tournée. Je dois la tourner la page (message récurrent envoyé à ma caboche). Et à l'instant je la tourne : j'entends le crissement du grain de son papier, l'air qui s'engouffre sous sa courbe aérienne qui va bientôt s'inverser pour coller à sa voisine de droite. Je vais tenter de t'oublier, Matthieu, tu m'as offert mon conte de fée, mais l'illusion doit laisser la place au réel, maintenant. De toute façon, je n'étais qu'un nuage transparent au milieux des tornades qui gravitaient autour de toi. Passera le temps, les sentiments, et les tourments.

Je lis Céline et ça résonne en moi. « Je n'en finissais pas de quitter tout le monde » ; « C'est peut-être ça qu'on cherche à travers la vie, rien que cela, le plus grand chagrin possible pour devenir soi-même avant de mourir ».

C'est peut-être ça que je cherche moi, en quittant les gens, le chagrin qui rend à soi-même. Pourquoi on se sent vivre dans le chagrin ? On sent la déchirure, le poids du passé, les souvenirs, les émotions vécues. On sent aussi l'inachevé, le remord, le manque, le vide.

J'en peux plus. Je voudrais arracher de ma tête ce truc qui me bloque, trouver ce qui me ferait avancer. Je me suis construite sur des échecs et ceux-ci me pourrissent le crâne. Je voudrais revenir en arrière, comprendre et résister aux assauts de mes peurs, les affronter, trouver du soutien, ne pas lâcher, saisir la main tendue, et ne pas m'en décoller. C'est pas que je n'ai pas eu de mains tendues, mais… J'ai envie de pleurer là, en repensant à mon travail de sape. Je me suis programmée pour rejeter toute aide. Je voudrais leur dire à toutes ces mains tendues que je n'ai pas saisies que je suis désolée, que je n'ai pas réussi, que j'aurais tant voulu, que je ne sais pas ce qui va pas chez moi, que j'ai tant besoin d'aide. J'ai tant besoin d'être sauvée… sauvée de moi-même, pour être apaisée, soulagée, entourée.

J'ai besoin d'aide, terriblement besoin d'aide, et plus de ces regards navrés, impuissants à m'aider et qui finissent par être le signal d'un abandon. Je veux plus qu'on m'abandonne. Je veux qu'on me retienne, qu'on compte sur moi, qu'on essaie de m'aider, vraiment, au lieu de prendre cet air navré au moment où je pars. J'ai tellement pleuré d'être ainsi abandonnée. J'ai l'impression d'appartenir à cette catégorie des gens à la dépression inéluctable, ceux dont on se dit : « c'est comme ça… » « pourtant, on a essayé ». Mais non ! Bon sang ! Pourtant, on n'a pas essayé ! On a juste essayé de me faire rentrer dans un moule, mais jamais de me comprendre !! J'avais besoin de vie, moi, pas juste de règles et de principes et de cadre… de vie, d'amour. J'étais intelligente, j'avais des bonnes notes, alors c'était le principal ! Et pourtant, moi je sais que j'avais besoin d'autre chose. Et c'est cet autre chose qui me hante maintenant et me retient, joue avec moi, me nargue : « Ah ah tu vois, t'avais besoin de moi, t'as pas voulu me voir, eh ben t'as raté ta vie ! Hihi ! » On vit pas sur des regrets ? On n'avance pas, avec des regrets. Point. Mais les regrets, comment ça se quitte ? On prend un comprimé et voilà, plus de regrets ? Je suis avec l'ami Xanax, et pourtant, ils sont toujours là.

Je suis pas ce que j'ai l'air ; j'ai l'air de ce que je ne suis pas : un zombi en sursis, un zombi, être sans vie, vidé de sa substance. J'en peux plus…

Je veux renaître, ça j'en suis sûre : je le veux ! Je le veux de toutes mes forces, de toute mon âme, de toutes mes cellules ! Je veux repartir sur la route des désirs, des envies, des sourires, des émotions, des amitiés, des rencontres, des souvenirs heureux. Je veux pas accumuler les souvenirs malheureux. Ma besace est déjà pleine. Laissez-moi le temps pour ceux-là, donnez-moi du répit. Autorisez-moi une dispense au registre des disparitions, tristesses et remords. Je vous promets que je saurai utiliser cette dispense à bien pour accueillir plus forte ces souvenirs-là. Parce que là, ils m'écrasent, ils me poussent avec eux, vers le bas, ils me tentent, ils m'attirent. J'veux du bonheur pour compenser. J'veux plus d'échecs et de remords. J'peux plus.

Bon mais je vous désespère là. Je m'apitoie sur mon sort, je vous sors le larmoyant, et vous n'êtes pas dupes. D'ailleurs ça ne prend pas avec vous. On vous la fait pas le coup de « j'aimerais bien mais j'peux point. » C'est de la couardise, de la cinquième vitesse avec le pied sur le frein qui vous épuise comme ça m'a épuisée et a épuisé mes prétendants (si vous avez bien suivi). Et je ne compte pas écrire la suite des Misérables. Alors maintenant, ce sera sexe. Et libre cours à mes fantasmes !

2 commentaires:

  1. Bonjour,
    en faisant une recherche sur la dépression je suis, par hasard, tombé sur votre blog.
    Je l'ai lu, j'ai apprécié et j'ai voulu vous laisser un message...
    J'ai été tour à tour été touché, dérangé, excité, attristé...
    C'était juste une petite contribution pour vous dire que vos écrits ne laissent pas indifférents et se vivent de l'intérieur.
    Alors je vous remercie, bonne continuation.
    Je repasserai surement...

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    1. Un grand merci à vous pour ce commentaire qui me touche beaucoup !
      Bonne continuation à vous aussi, espérant que vos recherches vous mèneront à bon port. ;-)

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