Prologue ou Histoire de la fille qui ratait tout

Je ressens le besoin d'écrire mon histoire, de me raconter, comme si j'avais besoin des mots pour me sortir d'une impasse, d'un mal être, d'une incapacité à aller de l'avant. J'ai l'impression d'avoir fini un cycle, d'avoir bouclé une boucle, et d'en avoir saisi le mécanisme, de cette boucle, comme un système complexe et bien rodé dont on finit par percevoir le fonctionnement.

Et à trente ans – trente deux exactement – je crois que je peux le dire, j'en suis là, à ce moment de ma vie où je commence à comprendre mon fonctionnement. J'ai découvert qui j'étais : la fille qui rate tout.

dimanche 29 décembre 2013

Dérive des continents

Dérive des continents, incontinence de dérives, ma banquise fond trop lentement et emporte avec elle les quelques ours polaires qui trouvèrent refuge sur ses dernières brisures de glace. Deux-trois ours ronchons se satisfaisant d'une plaque de froid à la dérive plutôt que du vide glacial d'une eau qui foudroie.
 
Deux-trois ours ronchons ne supportant pas le réchauffement climatique, deux-trois ours blancs obligés de se jeter à l'eau pour tenter d'atteindre les plaines continentales.
 
Comme je les ai déçus ces quelques ours blancs. Comme ils m'ont fait du bien, l'espace d'un instant. Mais moi aussi je dois devenir eau, puis continent. Et peut-être qu'alors, nous nous retrouverons sous un climat plus tempéré.
 
Dernier ours polaire en date : Fred. Un meetype. Ours en galère depuis plusieurs années, surnageant dans l'eau frigorifique d'un océan glacial arctique à perte de vue.
 
Architecte, la quarantaine, beau comme un athlète slave.
 
Moi, petit bout d'iceberg à la dérive, j'y vais.
 
Un resto, un ciné, un autre resto. Et le voilà au sec, sur un petit bout de glace brinquebalant.
 
Mais mon athlète slave n'est finalement plus architecte. En grattant un peu, je ne sais même plus trop s'il l'a vraiment été un jour. Il est tombé en dépression. Il a quitté son boulot voilà quinze ans. Il rêve de vivre de sa passion pour la peinture. Il peint, enfin peignait, avant que la dépression ne lui en ôte aussi l'envie. Il me montre ses toiles, il me dessine, il voudrait que je pose pour lui. Il me parle de son passé, des fractures de son enfance qui ont creusé le sillon de sa dépression.
 
Je ne sais plus. Il habite loin. Il est plus âgé. Il n'a pas de situation.
 
Je n'y retournerai pas.
 
Et puis, on discute sur internet. Trop. Et comme je ne vois pas d'horizon dans mes pérégrinations sentimentales… C'est la fin de l'année et avec elle, une grosse envie de donner du lest à la fatigue accumulée. Je voudrais tellement partir. Je vais poser une semaine.
 
Je lui propose de m'accompagner une semaine à la montagne. Il est partant. Il n'a pas pris de vacances depuis longtemps. Ça lui fera du bien à lui et à sa chienne. Car il a une chienne, un labrador blanc comme les ours polaires. C'est une chienne des neiges qui n'a jamais vu la neige, en plus…
 
Mais comme je ne suis pas amoureuse, ma conscience me taraude... je réfléchis. Trop.
 
Je ne donne plus signe de vie pendant une semaine. Et puis, la veille de mes vacances, je l'appelle pour savoir s'il est toujours partant.
 
Il l'est. Pour ne pas tergiverser, nous décidons de nous voir dès le lendemain et trouver ensemble une location à la montagne.
 
Je me rends chez lui. Il a sélectionné deux adresses. Nous en choisissons une et appelons le propriétaire qui nous confirme la disponibilité. Alors nous réservons pour partir le jour même.
 
Direction les Vosges. Un ptit chalet à flanc de colline.
 
Seulement, le tempérament anxieux de Fred lui fait réévaluer les critères de sélection de la location et il penche plutôt pour la seconde adresse. Nous appelons pour savoir si c'est dispo. Ça l'est aussi. Nous avons donc le choix entre les deux adresses. Comme je ne suis pas meilleure en terme de prise de décision, nous commençons à nous échauffer un peu. Fred veut que je tranche. Alors je prends mon courage à deux mains et je tranche. Ce sera l'adresse de départ. Mais Fred continue quand même à nous faire douter. Ça m'agace.
 
Fred a aussi des courriers importants à faire avant de partir. Je les lui laisse faire, vu qu'il n'avait pas prévu de partir en vacances à peine deux jours auparavant. Des réclamations sur des amendes abusives. Il met un temps interminable à les faire. Je n'en peux plus, j'ai le temps de regarder deux reportages à la télé qu'il n'a pas terminé. Et puis il m'annonce qu'il va falloir aller les porter à la poste du Louvre, la seule qui est ouverte sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je ne suis pas très enthousiaste. Mais nous y allons quand même.
Sur le chemin, Fred prend de l'essence et décide de regonfler un peu ses pneus. Il faut que je l'aide, car il a un pneu dont la pince ne reste pas attachée à la valve toute seule. J'y vais. À ce moment-là, une camionnette se gare juste derrière notre voiture ; un mec sort et se poste devant nous, attendant qu'on ait fini. Je tiens la pince sur la valve. Fred me fait des signes que je ne comprends pas. Le mec derrière s'impatiente. Une voiture arrive avec deux autres mecs qui se mettent dans la file d'attente. Je comprends toujours pas les signes de Fred. Il se rapproche et me dit qu'il y a un suintement et qu'il faut que je tienne mieux la pince sur la valve. Je m'exécute mais le suintement est toujours là. Fred semble dépité. Moi, morte de honte. Il prend ma place et me demande d'aller vérifier la jauge. J'y vais. Je ne sais même pas ce qu'il faut faire. Ah si. Je comprends qu'il faut appuyer sur le bouton pour envoyer de l'air dans le pneu. Ça me saoule tellement d'être regardée dans mon incompétence de femme qui capte rien aux choses un peu complexes de la mécanique auto, justifiant par le fait qu'il faut les laisser à l'homme, que j'ai envie d'envoyer balader sa jauge et tout le tralala. Ça ne me met pas de bonne humeur.
 
Alors que nous arrivons enfin chez moi, les bagages de Fred dans le coffre, un ptit incident vient plus sérieusement encore entraver le perspective doucereuse de ce séjour impromptu. Il est une heure du matin et sa chienne aboie à tout rompre parce qu'elle a senti le chien du voisin derrière la porte de son garage. J'essaie de la reprendre un peu, mais n'ayant pas d'autorité sur elle, je me tourne vers Fred, qui, lui, continue tranquillement ses affaires sans rien dire alors qu'elle est sur le point de réveiller tout le voisinage. Je fais une drôle de tête, mais cela ne change rien, il faut que j'aille lui demander de faire taire sa chienne. Et là, il s'agace. Soi-disant c'est un chien et elle a le droit de s'exprimer, de vivre. Son comportement est naturel et pourquoi vouloir la contrarier etc.
 
Je crois rêver et même en lui expliquant que c'est surtout aux voisins, moi, que je pense, rien n'y fait. J'avais déjà compris que sa chienne représentait bien plus qu'un simple animal de compagnie et qu'une relation fusionnelle les liait lorsque j'avais vu avec quel peu de conviction et d'obstination il tentait de la sortir de son lit lorsqu'elle voulait reprendre la place que je lui avais momentanément usurpée.
 
Je prends donc un peu la mouche et une légère dissension s'insinue entre nous qui nous fait revoir à la baisse notre engouement de départ pour notre séjour improvisé.
 
Mais la nuit aidant, ajoutée à nos efforts de préparatifs, et l'absence de plan B dans les deux camps nous forçant sinon à retourner à nos vies peu réjouissantes, nous nous réconcilions au petit matin, résolus finalement à poursuivre notre but.
 
Le voyage se passe plutôt bien, sans compter son besoin d'ouvrir presque en grand les fenêtres pour « aérer » son chien et ce jusqu'aux Vosges, ce qui rafraîchira considérablement l'air ambiant (et l'ambiance). À la première station-essence, il passe une heure à regarder les quelques vêtements de marque à prix d'or de l'unique présentoir, avec apparemment l'intention de s'acheter une parka. Je trouve que c'est légèrement onéreux ; il se rétracte, mais propose d'acheter des gants, car nous n'en avons pas de légers mais que des gants de skis. J'accepte, car ce n'est pas une mauvaise idée, même si leur prix ne défie pas la concurrence.
 
Nous n'avons pas non plus d'après-skis, alors nous décidons de nous arrêter dans des boutiques de chaussures. Nous nous prenons une deuxième fois la tête, car les bottes que je choisis ne lui plaisent pas, et celles qu'il me conseille ne me plaisent pas.
 
Nous allons dans une dernière boutique mais là non plus, rien d'intéressant. Il me trouve des moonboots taille quarante-deux qui me font des pieds de cosmonaute. Je n'en veux pas. Il insiste, car elle sont à cinq euros. Je craque, surtout parce qu'il se focalise maintenant sur des paires de chaussettes, alors qu'il y a une queue monstre aux caisses et que je commence à être un peu fatiguée.
 
Je lui dis qu'il faudrait aller au chalet, car il va faire nuit, et nous ne verrons pas le chemin. Il décide, sans prévenir, comme il aura l'habitude de faire par la suite, de s'arrêter à une boutique de location de skis pour que nous nous renseignions sur les prix. On en profite pour s'acheter des bottes et des bonnets.
 
On arrive chez nos loueurs à vingt heures, dans la nuit. Ils font une drôle de tête parce qu'à l'origine, ils nous attendaient en fin de matinée. Ils nous ont donc attendu toute la journée. Mais ils gardent leur sourire en nous offrant l'apéro. Je refuse gentiment ; Fred accepte.
 
Décidément, je pressens le calvaire à venir... Et il ne faudra pas attendre longtemps pour en avoir la confirmation.
 
Les loueurs nous demandent de les régler tout de suite, à notre arrivée. Alors je sors mes chèques vacances et demande à Fred de mettre la différence. Au chalet, un peu plus tard dans la soirée, Fred recompte ses billets et s'aperçoit qu'il lui en manque. Il était parti de Paris avec une certaine somme en espèces et il ne lui reste plus que la moitié, alors qu'il devrait lui en rester bien plus. Quand nous récapitulons les dépenses, il s'aperçoit qu'il a dû donner trop aux loueurs, sans se souvenir exactement de combien, et que ceux-ci ne s'en sont pas vantés. Ils ne nous ont même pas donné de reçu. C'est vrai, je réalise qu'on aurait dû demander un reçu. Fred me dit qu'il n'avait pas compris combien il devait mettre, car il ne faisait pas attention, il discutait en même temps avec le loueur… Il ne se souvient plus du coup de combien il leur a donné. Cela m'agace un peu, d'autant que je lui avais dit, et même s'il écoutait en même temps les récits vosgiens fabuleux de notre loueur, je pensais qu'il avait compris et qu'au pire, il me redemanderait. Non, il a donné des billets sans savoir ce qu'il donnait. J'ai du mal à concevoir cela. Mais pour finir complètement de jouer avec mes nerfs, il se met à invectiver les loueurs, qui deviennent des vieux paysans hypocrites et manipulateurs et à s'en prendre à moi, aussi, qui ne me suis pas assurée qu'il avait bien compris. Peut-être bien qu'il n' a pas complètement tort, mais c'en est trop, la coupe est pleine et je pars directement me coucher, le laissant seul face à ses calculs et à son travail de mémoire.
 
Le deuxième jour, nous faisons des courses au supermarché discount du coin, l'objectif étant de ne pas trop dépenser.
 
La veille au soir, j'avais pour ce faire établi une liste d'affaires à acheter. Mais j'ai vite compris que cette liste ne servirait à rien. Nous commençons tous les deux par prendre des articles non compris dans la liste, c'est-à-dire des chocolats et du pain d'épice au chocolat, sûrement guidés par un besoin de saveurs réconfortantes. Nous comprenons qu'il va falloir transiger. Fred remet mon article dans les rayons. Cela ne me plaît pas et il finit par remettre le sien aussi. Mais il continue son chemin en ne choisissant que des articles hors liste et sans mon consentement, ce qui m'énerve légèrement. Du saumon, du gingembre, des rillettes de crabe, du canard… J'ai l'impression que plus il avance dans le magasin et plus les rayons exercent sur lui un effet hypnotique. Et quand j'ose mettre un article dans le caddie, c'est comme si je profanais son œuvre. Je finis par m'éclipser en douce et finir mes achats seule dans mon coin alors qu'il continue à bourrer le chariot. Aucun article que j'ai choisi ne trouve grâce à ses yeux et arrivés à la caisse, il commence à sortir du chariot un par un tous les articles que je viens de mettre, pour aller en choisir de meilleure marque. Là, je sens le couvercle de la cocotte minute qui va exploser. Je le préviens pour qu'il sache où j'en suis sur ma jauge mentale de l'énervement. Et comme je sais que ça ne nous aidera pas d'engager le combat, je me tais et tente de m'apaiser. Je rassemble mon courage en sortant ma carte bancaire pour payer la note trois fois plus gonflée que prévue. Cent cinquante euros de courses au discount (au lieu des cinquante évalués sur liste de départ), autant dire qu'on en a pour un mois de courses en vivant en autarcie complète.
 
J'accuse un peu le coup, mais me range à l'idée que nous allons bien manger. J'avais pu apprécier ses talents culinaires et me rassure comme cela.
 
Il cuisine donc et pendant tout le séjour, ce qui met un peu d'eau dans le vin de la rancune que je commence à emmagasiner.
 
L'après-midi, nous nous rendons à Gérardmer pour y flâner un peu. Assis autour du lac avec le pique-nique, il m'avoue qu'il a cinq ans de plus que ce que je pensais. Il approche donc bien de la cinquantaine vu qu'il était censé avoir quarante-quatre ans. Là aussi j'accuse mal le coup. Et même s'il insiste sur le fait qu'il me l'avait dit, je n'ai absolument aucun souvenir de ce moment-là. Et pourtant, à présent, je me souviens de ces moments où il se tourmentait à cause de son âge et de l'approche de la cinquantaine. Je lui rappelais sans arrêt que quarante-quatre ans était encore bien loin de cinquante, pensant naïvement qu'il anticipait dans son angoisse du temps qui passe… Quelle conne.
 
Quelque chose se brise à cet instant, un point de non retour est franchi. Il doit s'en rendre compte, car il devient encore plus chiant.
 
Je finis par apprendre qu'il est sous antidépresseurs. Je comprends alors pourquoi son temps de réaction est supérieur à la moyenne.
 
Le matin, même si nous nous levons tôt, je me retrouve toujours à l'attendre, le temps qu'il enfile son pantalon, qu'il fume, qu'il arrange se affaires dans la salle de bain, qu'il retrouve ses esprits... Je bouillonne assez souvent, mais mets ça sur le compte des antidépresseurs.
 
Le lendemain, on décide d'aller faire du ski de fond. Il faut décider où nous allons skier. Nous ne sommes pas d'accord. Il veut que je décide, mais chaque fois que je le fais, il prend une autre décision que la mienne. On s'engueule dans la voiture. Il se stresse et moi aussi. À bout, on se sort nos quatre vérités : qu'on a rien à faire ensemble ; qu'on aurait dû mieux réfléchir avant de partir... Qu'on va mettre un terme à ce séjour pourri ; que je suis une connasse ; qu'il est un connard. Que mon bouquin est cucul ; que ses peintures sont moches… Il arrête la voiture et me demande de sortir. Il rêve, même si je n'en mène pas large. J'ai les larmes aux yeux et moi je rêve que quelqu'un vienne me délivrer de ce bourbier dans lequel nous nous enfonçons. Je pars dans mon coin pour faire semblant d'être occupée avec mon téléphone. Il se roule une clope.
On se rabiboche car nous n'avons pas d'autre choix.
 
On loue des skis. J'ai les larmes aux yeux et je fais un effort pour ne pas éclater en sanglots devant le loueur de skis. On part vite faire du ski de fond, conscients que le mieux sera de s'occuper l'esprit au maximum.
 
Au bout d'un tour de piste verte et un demi-tour de rouge, il perd son bonnet. On refait tout le parcours à rebrousse-poil pour tenter de le retrouver, en vain. Il peste. Contre les connards qui lui ont volé son bonnet.
 
Son chien, toujours sans laisse, hurle sans raison contre un pauvre skieur de fond qui s'engage sur les pistes. Le monsieur prend peur. Fred l'engueule presque de ne pas voir que son chien n'est pas méchant. Le monsieur prend mal la réflexion. Il n'y aurait pas eu le chien, je crois qu'il lui en mettait une. Je m'en prends à nouveau à Fred sur son comportement avec son chien en essayant de lui faire enfin comprendre qu'il est impossible que le monsieur se rende compte que son chien est gentil vu comment celui-ci lui aboie dessus avec un air pas très engageant. Je me sens tellement mal vis à vis du monsieur, que, dès que Fred s'éclipse pour aller chercher son bonnet sur la piste, je m'excuse auprès du monsieur.
 
Le soir, on décide d'aller voir les marchés de Noël de Gérardmer, vu que nous ne sommes pas loin et qu'un couple de touristes breton-corse fort sympathique rencontré sur la piste de ski de fond nous a briefés sur les différents marchés de Noël.
 
Évidemment, nous trouvons les cahutes en bois du marché bouclées car le marché ne fonctionne que le week-end. Une petite boutique associative est ouverte, alors nous nous y engouffrons. Elle œuvre pour la revalorisation du travail des femmes dans le monde en fabriquant de jolis objets en bois, en cuir, en tout et n'importe quoi, fabriqués soi-disant à la main, qu'elle vend au profit de sa cause. Je fais rapidement le tour, en m'attardant sur les pièces remarquables, puis sors de la boutique, pensant être suivie par Fred. C'était sans compter le nouvel accès de fièvre acheteuse qui venait de s'emparer de lui. J'aurais dû l'appréhender lorsqu'il s'intéressa un peu trop à des petites boîtes à secret, sortes de petites boîtes en bois casse-tête à multiples tiroirs encastrés. Je l'entends demander des renseignements sur les objets, et puis il commence à faire mettre de côté ceux qui l'intéressent. Il me propose une bague, car il y en a d'originales en cuir et en verre. C'est gentil, mais même avec le déchirement au cœur de devoir refuser son cadeau, vu les circonstances, je refuse gentiment. Il insiste. Je maintiens mes positions. Il en achète quand même. Pour faire des cadeaux à sa mère et à ses sœurs. Je finis par m'asseoir dans le hall de l'association, en dehors de la boutique, pour l'attendre. Le temps défile. Malgré l'envie qui me tenaille, je ne me permets pas d'aller lui dire de modérer ses achats vu ses ressources et que nous n'avons même pas encore été au marché de Noël de Colmar. Je l'entends maintenant en pourparlers avec les vendeuses parce qu'il s'est rendu compte que le bilan financier de ses achats s'avère un peu lourd. Je me mets à lire les prospectus et les panneaux d'affichage remplis d'exposés sur la situation des femmes au travail dans le monde, car je ne veux plus me mêler de ses troubles obsessionnels compulsifs. Je termine le dernier panneau sur la culture du pois chiche en Amérique du Sud, et je passe aux livrets culturels de la commune. Une demi-heure passe. Je prie pour qu'il se rende compte que j'existe ou au moins que je l'attends. Mais pas du tout. Alors je sors prendre l'air et saisie par le froid, je joue avec mon portable en pensant aux gens que j'aime. Un phénomène de décompression fait sortir de moi quelques larmes qui roulent à mon insu le long de mes joues. À ce moment là, j'ai vraiment envie de fuir. Mais je n'ai pas les clés de voiture. Je n'ai même pas de voiture. Je dépends complètement de lui.
 
Lorsqu'il sort, il se fustige d'avoir autant dépensé, comme s'il n'y avait que de cela qu'il dût se fustiger. Je ne comprends vraiment pas son fonctionnement de pensée. Alors je ne dis plus rien et me contente de savourer le chemin salutaire du retour à la voiture, puis au chalet.
 
Le soir, je m'endors avant même que nous soyons passés à table. Je me réveille quand même pour manger. Il cuisine vraiment bien. Puis je pars dormir.
 
En pleine nuit, je me lève pour aller aux toilettes et m'aperçoit qu'il n'est pas à mes côtés dans le lit. Je le retrouve dans le salon, avec sa chienne, pelotonnés. J'essaie de lui glisser qu'il doit venir dormir dans le grand lit, car je me sens coupable, peut-être, d'être à l'origine d'une réticence à venir dormir avec moi. Mais mes paroles ne passent pas le mur de son profond sommeil. Je le laisse tranquille.
 
Mercredi, on choisit de faire du ski de piste au Holneck. Journée bénie où l'humeur est au beau fixe. Sauf que le soir, il veut faire un petit tour de luge sur le bas des pistes. Nous prenons aussi un café au bar de la station et puis nous partons en oubliant la luge…
 
Lors du retour au chalet, on se perd. Nouvelle occasion de se renvoyer la balle. Fred m'engueule parce que je ne lui dis pas quand il doit tourner, et il panique dès qu'il faut faire un demi-tour. Moi je rabroue en lui faisant remarquer qu'il ne tourne pas quand je lui dis de tourner et que de toute façon, quand je lui indique le chemin, il me dit qu'il connaît la route.
 
Le lendemain, en plus, on s'aperçoit qu'on a oublié la luge. Fred commence à faire le compte de ce qu'il a perdu. Et comme il est très contrarié, il cherche un exutoire : moi. Il me reproche de ne pas l'aider beaucoup. De ne pas être vigilante. D'être un peu tête en l'air aussi.
 
Jeudi, nous allons à Plombières, station thermale. Fred remarque une boutique de jouets. En fait, c'est un fleuriste. Il s'émerveille sur chaque chose de la boutique et veut acheter des objets inutiles. Une chouette en bois, une poupée en porcelaine… pour faire des cadeaux à des gens qui ne lui en font jamais et qu'il n'est même pas sûr de voir... Je ne comprends pas trop cette manie de vouloir acheter sans arrêt des choses partout où on s'arrête, qu'importe le prix. Quinze euros par ci, quinze euros par là… À plombières, il perd son porte-monnaie qu'il vient tout juste de s'acheter je ne sais plus où. Est-ce un message ?
 
Vendredi, on va à Colmar voir le marché de Noël. Un des plus beaux d'Europe, paraît-il.
 
Arrivés à Colmar, on espère que c'est le pire parmi les plus beaux, car sinon, cela laisse peu d'espoir aux autres. Il commence donc à critiquer le marché de Noël. C'est nul, aucun intérêt. Il passe en trombes devant les cahutes, m'entraînant avec lui, sans même nous laisser le temps d'apercevoir ce qui est vendu. Et puis, il voit qu'il y a un musée qui propose une exposition de retables de Dürer et contemporains. Notre marche effrénée poursuit alors un but qui est de trouver coûte que coûte ce fameux musée. Lui fonce devant, et moi je commence à traîner la patte, derrière. Le marché de Noël file comme une vague surimpression accompagnant notre course vers un objectif supérieur. Nous arrivons au musée, lui, fou de joie, moi, morose.
 
Et finalement, j'étais presque prête à le suivre dans sa croisade contre le mercantilisme aveuglant des marchés de Noël jusqu'à ce que j'apprenne que pour seulement mettre un pied dans le musée, il nous en coûterait huit euros. J'abdique. Déjà que je n'étais pas venue ici pour voir une exposition de peintures, encore moins des peintures de calvaires (un signe ?) qui respirent la tristesse et la dépression, mais un marché de Noël, et il m'en coûterait pécule en plus… non. Heureusement pour moi, le musée ferme dans trente minutes. Le portier nous déconseille de rentrer maintenant mais plutôt de revenir un autre jour. Tout concourt donc à nous dissuader et j'espère que Fred se ralliera finalement à ma cause, mais non. J'aurais pu me douter que la question de l'argent n'influerait pas sur sa décision, mais que même le peu de temps pour visiter l'exposition n'ait aucune influence me paraît inquiétant. S'agît-il alors d'une question de vie ou de mort, qu'il visitât cette exposition ? Je me le demande. Il insiste tellement, arguant que je ne m'intéresse à rien, essayant de me faire me trouver sotte de préférer voir un marché de Noël plutôt que des peintures morbides de grands maîtres, et je sens en lui une ferveur telle qu'il serait prêt à donner sa vie pour défendre cette exposition, alors je lui sors huit euros, je les lui mets dans les mains en lui disant qu'on se retrouve dans trente minutes à la sortie de l'expo.
 
L'assurance d'avoir échappé à tous ces calvaires me garantit que j'en ai bien évité un autre : un chemin de croix avec les commentaires frelatés de Fred.
 
J'oublie vite cette idée et profite de ce répit pour m'alléger un peu l'esprit. Je fais le tour des cahutes du marché de Noël et dépense mes huit euros en achetant des étoiles à la cannelle et autres gourmandises à partager plus tard avec les miens. Au moment de retrouver Fred, je me dirige vers l'entrée du musée, mais elle est fermée. Je continue donc jusqu'à la voiture, mais personne, alors je rebrousse chemin jusqu'à l'église qui sert de musée et voit Fred me dépasser, en trombes, sans me voir. Je commence à me dire que c'est un gag, que je vais me réveiller, que j'ai fait un mauvais rêve. Je le rejoins ; il n'est pas loin, il frappe tant qu'il peut à la porte de l'église, non sans que son comportement ne paraisse un peu étrange aux gens qui nous entourent. Il voulait acheter le livre de l'exposition pour son père et était sorti chercher de l'argent au distributeur, mais le temps qu'il revienne, le musée avait fermé. Il peste devant la porte contre les gens à qui il avait demandé d'attendre qu'il revienne. Et franchement, je ne sais plus quoi penser, vu son niveau de crédibilité lorsqu'il s'agit de se dépêcher. Mais bon, nous patientons quand même une bonne dizaine de minutes devant la porte, le temps que Fred se calme et que peut-être, avec un peu de chance les gens ressortent par là. Mais non.
 
Heureusement qu'il y a la nuit. La douce nuit qui apaise tout et qui permet de remettre les compteurs à zéro. Je n'ai jamais autant compris cette phrase que pendant ce séjour avec Fred dans les Vosges : chaque jour est un nouveau départ.
 
Le lendemain, d'ailleurs, nous partons. Et avec le départ, de nouvelles occasions de découvrir le niveau d'angoisse de mon Fred. Le grand ménage doit être fait avant dix heures. Mais mon Fred des Vosges, animal procrastinateur et très susceptible en est fort aise de secouer les couettes et de vider le placard du dehors, alors que je me bats avec l'aspirateur, la serpillière, les plaques de cuisson, le frigo, la salle de bain et j'en passe. Bien m'en soit fait de ne pas le lui faire remarquer car il est déjà si fier d'avoir fait tout ça. Et là, j'explose. Une féroce envie de lui botter le cul. On arrive chez nos loueurs un peu tendus, mais le génépi passe bien quand même, trop bien, même.
 
On part, presque soulagés, mais avec quand même un petit nœud au ventre. Celui d'avoir réussi à passer cette semaine ensemble, malgré nos personnalités dissonantes et nos incompatibilités d'humeur. Pendant le voyage, on s'excuse, on se pardonne, on s'explique. On ne veut garder que le meilleur : les paysages de cartes postales, les descentes de luge, les bons petits repas, notre journée de ski, le plaisir de voir Alia se rouler dans la neige… et on remercie l'autre d'avoir été ce quelqu'un avec qui partager ces moments de répit dans nos dépressions respectives…
 
Merci Fred.
 
Un appel sur le portable de Fred. Il a oublié de rendre les clés du chalet.
 
Nous les laisserons à la ferme du coin où nous achèterons de délicieux munsters…


dimanche 8 décembre 2013

Hug me - le supplice

Je revois mon amant black. Je le serre fort dans mes bras, comme si c'était lui celui que j'attendais. Un mois qu'on avait rompu. Enfin moi, pour essayer de trouver le bon… C'est moi qui l'ai rappelé. Il a accouru. Je suis un bon coup. Vous trouvez que j'me vante, attendez la suite… Ce matin je lui envoie des sms ; il m'avait dit qu'il reviendrait me voir aujourd'hui. Il ne m'a pas rappelée ; il ne répond même pas à mes messages. Et que je suis conne… Je repense à mon ex que je serrais fort dans mes bras comme si c'était lui celui que j'attendais. Demain, ce sera un autre que je serrerai fort comme si c'est lui que j'attends, et de moins ne moins fort les suivants…
 
Qu'est-ce qui va pas chez moi ? Je me laisse abuser et désabuser tout en continuant à étreindre à perdre haleine mes abuseurs. Comment puis-je étreindre encore ces corps qui ne me promettent rien, voire qui m'utilisent ? Mais je ne peux arrêter d'y croire… J'ai tellement besoin d'être consolée, rassurée, reconstruite… J'étreins tout le monde à perdre haleine comme si j'avais besoin de me réconcilier avec l'humanité, de libérer mon cerveau de ses chaînes, de faire sauter les verrous !
 
Je suis une proie facile parce que je suis perdue (et qu'ils le savent). Aucun lendemain possible, sans arrêt la réserve de ne pas s'attacher qui finit par tomber. Elle vient parfois au dépourvu alors que j'aurais aimé m'attacher, parfois de moi parce que j'anticipe… Maintenant, c'est presque couru d'avance…
 
Et tout ça pour quoi ? Parce que j'ai peur. des hommes. Une peur ancestrale. Et je suis en pleine guerre avec ma peur que j'ose enfin affronter. Je me laisse faire et me cherche à travers chaque homme qui passe dans mon lit. J'écoute ce qu'ils me disent, j'essaie de les accrocher, de les séduire, tout en les repoussant sans arrêt parce que j'ai mal à ma blessure d'amour propre. Et malgré tout ça, j'ai toujours mal. Ma blessure d'amour propre s'atténue un peu, mais elle est toujours là. Je la triture tant que je peux, mais ces fausses petites victoires sur ma peur des hommes qui se transforment en abandons successifs (dont je suis parfois à l'origine) finissent par la rouvrir.
 
J'ai peur que le remède ne devienne un supplice et de me transformer en bourreau de moi-même.






samedi 7 décembre 2013

Ecris ! (et crie !)

Noël revient et toujours le bilan. Tu fais le tour de l'année en te demandant ce que tu as gagné avec l'année écoulée. Car tu espères que tu as gagné quelque chose. De la maturité, de l'amour, de l'accomplissement de soi ?
 
Non, rien du tout. Le disque a juste fait un tour de platine mais c'est toujours le même refrain.
 
Ah si ! Des plans cul grâce à Meetic entre autres. J'ai donc perdu plus que gagné encore un peu d'innocence et de rêves bleus.
 
Je tends encore vers le même but tout en en connaissant de moins en moins la teneur. Je pense à tout ce qui me reste à faire dans ma vie : TOUT. Sans savoir si ce "tout" est supportable…
 
Cette nuit, j'ai rêvé. Non, pas vraiment de douceur dans ce rêve tordu sorti des tréfonds de mon inconscient : j'ai rêvé que mon ex-copain se tirait la bourre avec mon ex-amant (que je vais revoir bientôt, c'est un très bon amant) pendant que je faisais l'amour avec mon ex-cousin (je parle pour mon inconscient qui, ne supportant pas la situation incestueuse, aura aboli le lien de parenté) et que mon ex-homme parfait se décharnait jusqu'à devenir cadavérique, en proie à une maladie. C'est grave, docteur ?
 
Merde.
 
Et puis, je me suis réveillée j'ai pris un crayon ; je me suis dit qu'il fallait écrire. J'ai relu ce que j'avais écrit la dernière fois que l'envie m'en avait prise. C'était des phrases du genre : "Toi, mon amour, que les cieux de tes yeux apaisent mes tourments…" Je venais de coucher avec un Meetype (mec rencontré sur Meetic) et j'étais encore en pleine transe orgasmique. Ca m'a coupé l'envie. J'ai posé le crayon et j'ai chiffonné la prose baudelairienne.
 
Mais vous voulez que j'écrive quoi ? Mon cher "follower" qui me dit qu'il attend un billet. (je t'aime toi, et je fais de toi mon follower favori, grâce à toi, tu vois, je m'y remets.)
 
J'ai déjà usé les touches de mon clavier à vous saouler avec ma dépression. J'peux ptet vous raconter celle des autres pour changer ? Celle qui ravive la mienne, qui l'alimente, qui l'entretient, mais qui la soigne et l'endigue en même temps ? (je suis en train de chercher si je suis maso ou pas, mais j'arrive pas à trancher…)
 
Bref. Que je vous raconte ma dernière permanence téléphonique.
 
Un ptit monsieur a commencé par me demander 90 euros pour s'acheter un ordinateur neuf ; le suivant, qui a tenté de cambrioler deux fois ses propres parents, voulait 150 euros pour leur faire des cadeaux de Noël ; et puis un troisième qui partait faire du vélo quand son auxiliaire de vie arrivait… Enfin, il a fallu trouver un hôtel qui accepte les gens instables pour un jeune en crise qui voulait tuer sa mère quand les médecins et les éducateurs qui travaillent avec lui se déchargeaient presque du problème. Et j'en passe et des meilleures. Alors, qui a raison de déprimer, finalement ? Ou bien dites-moi où elle est cette dimension parallèle où le dernier Hewlett Packard est à 90 euros, où la pire des crapules fait des cadeaux à ceux qu'il assassine, où les auxilaires de vie se télétransportent comme Mary Poppins au parc Tournenrond quand on a décidé d'aller y faire du vélo, et où les hôteliers acceptent sans retenue les gens qui privilégient plutôt, comme entrée en conversation, "fils de pute" que "bonjour" ?
 
Mais le pire, c'est que c'est pas ceux qu'on penserait les plus déprimés… Voyez c'que j'veux dire ?
 
Le pire, c'est cette simplicité dans la justification de toutes ces choses absurdes, le clivage de toute cohérence qui ne leur donnent même pas l'air d'être dépassés ou déprimés par la situation…
 
"Mais je n'suis pas malade, et d'ailleurs, je vais demander la levée de la mesure. Je n'sais pas pourquoi je suis sous curatelle renforcée, madame…"
 
Et moi, je n'sais pas pourquoi j'ai choisi ce métier…




dimanche 27 octobre 2013

Maison d'heureux traîtres

« J'ai jamais demandé à venir ici, moi… »* au milieu de tous ces gens en partance pour les catacombes ; on m'a même pas demandé mon avis ! Ah les félons, avec leur maison d'heureux traîtres ! Ils m'ont mise là, au rebut des vieux. En espérant sans doute que la flamme s'éteigne pas trop tard pour que l'héritage ne se réduise pas comme peau de chagrin, vu le coût du palace.
 
Regardez-moi ça ! C'est pas du mobilier Ikéa, ça je peux vous l'dire ! Le confort des résidants, il a bon dos, tiens ! Jusque dans le bureau du directeur qu'il va se nicher ! Qui peut se vanter d'avoir un bureau en véritable ronce de noyer marqueté ? On dit merci qui ? Merci papi, merci mamie !
 
Voilà. C'est ça le prix à payer pour accepter d'être destitué de son humanité. Nous ne sommes plus que des êtres éphémères, qui nous effaçons petit à petit. Nos carcasses s'amenuisent et se flétrissent, vos regards nous fuient, nos paroles vous échappent… On est objets que l'on déplace au gré des temps forts de la journée, objets que l'on manipule avec plus ou moins de dégoûts et des gestes sans grâce, nous obligeant sans sommation à subir l'opération la plus atroce qui soit, l'ablation de notre bien le plus cher : l'estime de soi. Sachez que la raideur de nos gestes et de nos corps n'a d'égal que la froideur de vos attentions, et la laideur de vos intentions.
 
Avec la force du rassemblement, l'osmose qui unit les gens regroupés au même endroit, on subit le calvaire des autres, autant que le sien. On regarde son congénère patauger dans ses excréments, et, paniqué, désespéré, tenter de camoufler l'affaire pour pas que la sémillante infirmière piétine encore une fois sa dignité en s'emparant du drap, l'air faussement détaché, mais les traits crispés par le dégoût latent. Alors on intensifie ses efforts dans chaque geste de la vie courante, pour ne pas offrir le spectacle de sa déchéance au regard de tous. On la tient ferme cette cuillère, même si Parkinson se gausse d'en faire son affaire, mais c'est encore un peu d'humanité sauvée, dans ce monde où plus rien n'a de poésie.
 
L'univers se réduit lui aussi en même temps que notre corps, se resserre autour de nous. On ne sort plus que sur avis médical. De toute façon, il y a un code pour ouvrir la porte afin d'éviter aux plus séniles d'aller finir leurs jours ailleurs que dans notre petit paradis fomenté par nos heureux traîtres pour se décharger du poids mort qui pesait encore sur leur petite vie tranquille. Car le service rendu ne les empêcherait pas d'aller coller un procès à nos tauliers. Ils doivent avoir le sentiment de nous avoir offert un écrin de soie et de sécurité, certainement pour contrebalancer les potentiels remords qui auraient l'outrecuidance d'affleurer par la conscience de n'être pas venus au monde tout seuls.
 
Monsieur Ronce-de-Noyer se charge de tout, du confort des résistants, heu… des résidants, et de la bonne conscience des autres ! (Avec son sourire d'officier de la Gestapo, il doit même sûrement avoir un moyen de précipiter un peu la succession…)
 
Eh ben non ! J'vais tenir les ptits gars ! Oh oui, j'vais tenir ! Vous n'en aurez rien de la peau de chagrin ou plutôt rien que le chagrin et vos yeux pour pleurer le pactole envolé avec la vieille. J'vais en manger du Julien Lepers, jusqu'à écœurement ; j'vais en faire des mots croisés, puis quand je pourrai plus, des dessins avec les doigts comme les gamins de deux ans, que je vous offrirai dans un grand sourire sans dent lorsque vous viendrez me voir à Noël, lors de votre visite annuelle de bonne conscience. Oh non, mes ptits poulets, c'est pas comme ça que vous la plumerez mémé !!
 
*(première phrase reçue comme une claque d'une petite mamie, dans l'ascenseur, alors que je rendais visite à un autre résidant dans une maison de retraite de la région parisienne, et qui m'a inspiré ce billet…)

samedi 19 octobre 2013

Meat... Hic !

Me revoilà sur Meetic… avec le sentiment de ne pas m'engager dans la bonne voie. Je parcours les profils comme je tâterais des pommes ou de la viande sur les étals du supermarché. Fini les rêves de rencontre providentielle ; on prend les grands moyens de vieille fille au bout du rouleau. Investie du pouvoir de sélection, je me sens toute-puissante dans ce marché des âmes en peine. J'élimine les fruits avariés ou trafiqués du supermarché – les pourris et ceux qui brillent trop – , je traque le profil soupçonneux, pourfends le profil-piège, car il y en a.
 
D'abord les vieux garçons puceaux qui veulent encore "croire en l'amour avec un grand A", ceux qui sont persuadés qu'ils mettent toutes les chances de leur côté en s'inscrivant sur ce site, au lieu de se sortir les doigts du cul pour obtenir ce qu'il veulent sans que ce soit "môman" ou autre chose qui décide à leur place. Des profils bancals, des présentations enrobant d'un romantisme fiévreux leur désespoir de puceau (mais tu sais très bien qu'ils sont prêts à se prendre la bite, derrière leur webcam, entre la plante verte et le paquet de Kleenex…), des photos floues ou de loin qui te feront perdre du temps dans des rendez-vous ou la courtoisie t'obligera à écouter des bafouilles nerveuses pleines de salive et de respirations sonores… Beurk !
 
Ensuite les "périmés" ou ceux qui tentent encore leur chance en faisant fi de la barrière de l'âge, des fois que leur faciès raviné par le temps, l'alcool et la maladie touche la fibre masochiste de l'une d'entre nous. Attention, ceux-là se sentent plus spirituels et drôles que les autres et te saoulent vite dans un florilège de mots d'esprit ou de citations empruntés à des auteurs plus ou moins étudiés d'ailleurs.
 
Passés ceux-là, l'horizon s'éclaircit un peu, mais guère plus…
 
Viennent alors les jeunes puceaux, encore porteurs d'un avenir sentimental quand le passé n'est pas encore trop chaotique, et qui font ici leurs premières armes, un peu "à la lose" donc, mais ils ne cherchent pas le grand Amour, quoique leur sensibilité exacerbée et leur besoin de reconnaissance ne les mettent pas à l'abri de prendre un battement de cil pour un coup de foudre. Pour ceux-là, Meetic est une sorte de savane où la cougar pullule, grande prêtresse du dépucelage expert. Et il faut savoir que pour eux, passé trente ans, tu en es une… (Ça ça fait mal.)
 
Puis les paumés, le gars qui sait pas trop pourquoi il est là, qu'a pas vraiment de problèmes relationnels ni de complexes physiques, mais il est là, et d'ailleurs, il ne sait pas trop ce qu'il cherche, il est pas sûr de vouloir s'engager dans quelque chose de sérieux… Meetic est pour lui un laboratoire de la séduction. C'est un ancien complexé qui a retrouvé confiance en lui sur le tard avec l'âge et qui vient se renarcissiser. Il est "open", ouvert à ce qui viendra, sans prises de tête… C'est le gars pas compliqué, quoi, mais toi, du coup, tu sais pas trop si t'as envie de continuer à discuter avec lui.
 
Et puis, dans un genre diamétralement opposé : le lover. Un Black souvent. Tu vois très vite pourquoi il est là même s'il choisit d'avancer en mode taupe. Celui-là tu peux transformer l'essai dans l'instant si tu as besoin. Il est dispo dès que tu veux. D'ailleurs il te file son numéro quasi immédiatement. Et comme il a de gros atouts et un sourire à tomber, tu batailleras pas mal avec ta conscience pour ne pas sauter sur ton téléphone. (profil hautement piège)
 
And last but not least, talonnant le lover : le Indurain des sites de rencontre. Beau, grand, cultivé, spirituel et drôle, avec une situation professionnelle stable et confortable, un goût prononcé pour les voyages, les sorties entre amis, une pratique sportive régulière (et qui se voit) et une philosophie de la vie altruiste et épicurienne… Oui mais finalement, ce vendeur de rêves, mais qu'est-ce qu'il fout là ??!! Il peut pas nous laisser tranquilles entre bancals, paumés, puceaux et autres sortes de bizarreries composant ce bestiaire de la ménagerie Meetic ? Mais laisse-nous entre loser de l'amour !!
 
Alors oui, on dira… la démocratisation des sites de rencontre… mieux ! leur côté hype et branchouille !
 
Ah ouais, bien sûr… et la facilité, le manque de couilles des mecs, ça non ? Parce que finalement, inscrit sur Meetic, le Indurain des sites de rencontre, il devient fade… Nous ce qu'on veut, c'est un vrai chasseur-cueilleur, pas un chasseur virtuel, non, un qui va sur le terrain, qui ose prendre des risques et des râteaux. Eh oui, on ne salue pas le talent sportif de quelqu'un sous prétexte qu'il joue super bien à FIFA 2013, il en est ainsi du talent de séducteur de notre Indurain de la rencontre virtuelle.
 
Ben ouais, mince, qu'est-ce qui va pas dans notre société ? Les mecs sortent plus de chez eux ? Ils savent plus draguer ? On est tous devenus des éclopés de la relation, des tendus du slip du sentiment  ? C'est quoi le côté attrayant de Meetic, mis à part la facilité, voire la lâcheté du procédé ? C'est le fait de pouvoir découvrir qu'à quatre cents kilomètres de chez toi, il y a un mec qui te correspondrait parfaitement ? Génial ! Pour se voir, ce sera pratique !! :-)
 
Et si c'était pas plutôt tout simplement de pouvoir s'essayer à la séduction sans danger, caché derrière son écran, à l'abri du râteau publique, et de pouvoir interrompre la relation à tout moment d'un simple clic… Il est pas beau notre monde virtuel ? … :-(

mercredi 2 octobre 2013

Sainte Âne (Bâté) priez pour nous

(Afin que nous ne finissions pas chez vous...)

Ah le débrief avec la patronne ! Que du bonheur… J'ai pris un gros coup des Tables de la loi sur le coin de la cafetière. Premier commandement du troufion : Sans broncher tu accepteras la submersion sous des tâches que tu sais d'avance que tu ne pourras pas les faire. Mais comme personne ne pourra non plus les faire, alors c'est à toi qu'on les donne. Il en faut bien un à qui l'on gâche ses perspectives de jours ensoleillés. Par principe, c'est le dernier arrivé. Celui qui n'osera pas dire non pour ne pas prouver son incompétence à peine débarqué de son pays du temps suspendu, dans l'hémisphère mort, le Pôle Emploi. Second commandement : Tu supporteras sans broncher les remontrances et autres manœuvres sadiques pour te prouver que tu manques cruellement d'organisation, même si tu sais très bien que ce n'est pas l'organisation le problème, mais plutôt d'être une association qui œuvre dans le social dans un pays où l’État s'est presque déchargé complètement de la question sur les ceusses (bonne poire, pigeon, martyr, les désignations laissent place à l'imagination et sans avoir la Tourette, on en trouve facilement un bon nombre). Troisième et quatrième commandement : Tu n'emploieras pas les mots « congés » ou « paie » encore moins « syndic » si tu es en train d'expérimenter les premier et deuxième commandements. Tu attendras un jour plus favorable, ou plutôt, tu saisiras l'opportunité d'en parler lorsqu'elle se présentera, ou au moins celle d'évoquer l'idée.
 
Alors j'ai tenté désespérément de lui démontrer que si ! j'étais organisée !…
 
Sauf que j'avais ma pile de dossiers enchevêtrés et prête à s'effondrer dans les bras.
 
J'ai senti son scepticisme… J'aurais dû pleurer ?

J'ai éclaté de rire. Bref. :-(
 
C'est vrai que je suis organisée. Le matin, j'arrive, j'ouvre mon petit carnet des choses à faire dans la journée, parce que le soir, je note les choses que j'aurai à faire le lendemain. Et je lis, scrupuleusement, en essayant de dessiner un ordre des priorités dans ma tête. Je stabilote, j'entoure, je raye, je réécris et, vers le milieu de la matinée, épuisée par ce travail préparatoire, je fais une pause-café. Donc après, je reprends mon carnet des choses à faire, et cette fois, plus déterminée, je choisis dans la circonscription de mes tâches de la journée celle par laquelle je vais débuter. Et alors, je m'y mets. J'attaque ! Je déploie mon énergie en sommeil bouillonnante d'avoir trop attendu. Il est 11 heures, 11 heures trente… Et là ! Dans cette verve productrice expansive, dans cet incendie d'intentions prolifiques, j'aperçois mes collègues qui se dirigent vers la salle à manger… Soudain, mon ventre se met à gargouiller.
 
Mais non ! J'exagère, là !… Parce que sinon, je crois que je me serais fait expulser dans mon pays des Télétubbies où le monde n'est que farandoles et fariboles. Mais c'est presque ça. Et même si je suis pas aussi longue à l'allumage, chaque soir j'ai l'impression de n'avoir rien fait et chaque matin, je sais que le soir j'aurai l'impression de n'avoir rien fait. Cette impression de remplir le tonneau des Danaïdes…
 
Dédicace à Socrate ! Tout c'que je fais, c'est que je n'fais rien… (le fofotage est un handicap dont on ne parle pas assez)
 
Pas mieux. Je prends donc congé pour aller méditer sur cette touche finale qui n'est pas la plus brillante, mais bon, on fait ce qu'on peut.

dimanche 29 septembre 2013

Nu t'es là ! Black addict !

Un grand black, c'est comme un pot de Nutella. Ça te berce d'illusions, ça te promet monts et merveilles pour que tu plonges ta cuillère rien qu'une dernière fois… Et toi tu tournes autour du pot, tu passes devant plusieurs fois, l’œil alangui du désespoir d'un surmoi qui résiste, tu tords en tous sens le désir qui monte et exécutes une volte-face, mais tu sens la caresse de son emprise, comme une attraction irrépressible… Et une fois que tu as flanché, tu ne penses plus qu'à ton pot de Nutella, à la suavité de sa matière, à son grain élastique et velouteux, à son goût bouleversant. Comme une drogue. On a beau te taper sur les doigts pour que tu n'y reviennes pas, t'y reviens.
 
Tu replonges… dans le feu de tes illusions… dans la chaleur de ses épaules, dans le giron de ses muscles puissants, dans les mots doux enroulés qu'il te susurre à l'oreille… Tu t'enivres de ce tanin originel de mil, de sorgho, de manioc, pétri par les vents, le sable, la moiteur d'un soleil aride… Tu goûtes chaque grain de sa peau à la recherche d'une effluve de ces doux rêves australs. Tu étreins la pulpe de ses lèvres charnues comme un fruit délicieux et sucré, tu te perds dans l'ébène de ses pupilles comme dans un trou noir béant et sans retour, tu ajustes ton sourire à l'éclat du sien, tu t'arrimes à ses cheveux dont le crêpe rayant tes mains procurent de douces sensations irradiantes.
 
Divinités séductrices qui te poussent au péché originel… Pourquoi êtes-vous si beaux les men in black ?!!!!

dimanche 22 septembre 2013

La mort vous va si bien...

J'ai envie d'écrire sur la mort. Pas très gai, je sais.

Une petite mamie m'a dit cette semaine qu'elle voulait partir ; mais pas en vacances, non, « partir », le « Grand voyage » quoi ! Qu'elle était usée, fatiguée… J'ai essayé de lui remonter le moral en lui disant qu'elle avait encore de belles années à vivre, qu'on allait essayer ensemble de trouver des moyens de lui redonner goût à la vie, mais là n'est pas le sujet… Ce serait plus à Christophe André ou à Jacques Salomé d'entrer en action.
 
Et du coup, je pensais à l'instant de la mort. Ce moment précis flanqué d'une date, d'une heure, d'un soixantième d'heure et de minute et de seconde… Ce moment où l'on n'est plus, alors que l'on a été. Ce moment qui brise notre désir d'immortalité, qui fracasse notre sentiment de toute-puissance, ce moment qui nous renvoie à l'état de larve quand toute notre vie on a cru être un cygne…
 
Et si je connaissais l'heure et la minute exacte de ma mort ? Je ferais quoi ? Imaginez si à ma petite mamie déprimée j'avais pu dire : « Ah, mais il va falloir tenir encore jusqu'au 22 décembre 2018, date à laquelle vos reins vont vous lâcher et où vous allez mourir d'une septicémie ».
 
Et en partant le matin, sachant que dans la journée j'allais mourir dans un accident de voiture, penserais-je à éteindre l'électricité, à vider le frigo, à fermer les volets ? Irais-je dire au revoir aux voisins ? Et pourquoi alors, prendrais-je ma voiture ? Essayerais-je d'éviter le drame ? Le pourrais-je seulement ?
 
Me retournerais-je alors sur ma vie pour faire le bilan ? Pour savoir à qui léguer mes affaires ? Ou alors je déciderais de m'en balancer, que ça aille là où ça voudrait. Au diable le matériel, quand l'immatériel me tend les bras !
 
Ou bien j'essaierais de créer des passerelles entre ce monde et celui d'en haut, sachant que j'allais y être sous peu. Mais comment ? En branchant un micro et en enregistrant le grésil ? Parce que c'est bien connu, ça, le coup du haut-parleur qui recrache au milieu d'un brouhaha d'ondes électromagnétiques des bribes de phrases inaudibles venues d'outre-tombe… Oui, je ferais ça. Et pourquoi pas un guéridon, des bougies allumées et un mot demandant à mes proches de se rassembler tout autour en invoquant mon prénom ? Et d'ailleurs, à ce propos me vient une question : Pourquoi les morts qui arriveraient à soulever une table d'une dizaine de kilogrammes, à faire glisser un verre sur des mots chargés de signification ou à produire des bruits de pas au grenier choisiraient ces actions absurdes et peu parlantes pour rentrer en contact avec nous ? Ne pourraient-ils pas, tant qu'ils y sont, faire sonner le téléphone, soulever le combiné et dire ce qui les amène carrément ? Ou bien soulever un stylo (puisqu'ils peuvent une table) et écrire directement le message sur la feuille, au lieu de passer par quelqu'un d'autre qui ne réussit jamais à retranscrire clairement le message escompté… Si l'au-delà est obscur à nos âmes, il soulève en tout cas un certain nombre d'incohérences…
 
Bon et après ? Si je connaissais l'instant précis de ma mort, aurais-je peur ? Peut-être les premières heures, les premiers jours, les premiers mois, mais après ? M'habituerais-je ? Me ferais-je une raison ? Pourrais-je noter cet événement dans mon calendrier pour qu'il figure au milieu des rendez-vous chez le coiffeur, des anniversaires et autres rendez-vous à ne pas manquer ?
 
Deviserais-je avec mes pairs sur nos morts respectives ?
« Ah je viens d'apprendre la meilleure ! Je meurs demain, d'une crise cardiaque ! 
– Oh, mince, mais alors tu viens pas dîner samedi ? 
– Ben non, du coup, désolé… 
 
– Moi chuis dégoûté je vais mourir dans vingt ans, d'un cancer du côlon, avant mes parents… Ah merde ! C'qu'ils vont être tristes ! 
 
– Ouais ben te plains pas, moi je meurs dans un accident d'avion aux prochaines vacances… Ah ça m'énerve, on n'est jamais allés aux Maldives ! Et il faut que ça tombe là ! »
 
Serait-ce un acte libérateur de prendre sa propre mort avec sérénité ? Qu'est-ce qui pourrait alors faire peur, lorsque l'on n'aurait plus peur de mourir ? Et du coup, serions-nous moins angoissés ? Plus pressés d'accomplir quelque chose ? Ou à l'inverse, nous serions des êtres morts de trouille, incapables de ne penser à autre chose, avec des idées de suicide plein la tête ? Et pourtant, si on y réfléchit bien, on l'a tous cette épée de Damoclès sur la tête, la seule différence, c'est qu'on ne sait ni quand, ni comment…
 
L'aveuglement nous sauve ? De savoir nous tuerait ?
 
Ne nous adapterions-nous pas tout simplement ? En vivant pareil mais avec cette échéance en tête ? Et alors, peut-être que nous vivrions mieux ? Peut-être que nos orgueils en prendraient un coup ? Que l'on verrait moins l'intérêt d'accumuler qu'en se pensant immortels ? Peut-être qu'on irait à l'essentiel ? Que notre cerveau, en se gardant un temps pour se préparer à l'inévitable, nous permettrait de garder les pieds sur terre ? Peut-être qu'on accéderait mieux au sens véritable de la vie sur terre ? Qu'on se concentrerait un peu plus sur lui ?
 
Qui sait…
 
Un peu de courage, les enfants, allons !
 
Dring ! Oh scusez-moi, téléphone.
 
« Allô ? La Fille qui ratait tout ?
– Euh… Oui ?
– C'est Dieu à l'appareil.
– Ah ? Bonjour…
– Alors puisque tu veux savoir… Tu meurs le…

Bip bip bip

– Ah ? On a dû être coupés… » :-)

jeudi 12 septembre 2013

Monsieur et Madame...

C'est con, mais je pensais à un truc : imagine si ton mari à un nom pourri, t'es obligée de garder ton nom, non ? Je pensais à ça, parce que mon premier petit copain avait un nom fientesque (je fais un néologisme pour être polie) et rien que ça, ça m'a fait flipper. Je ne vous dirais pas ce que c'était au cas où un jour, par mégardes, il passe sur mon blog, mais vraiment, c'était d'une pureté à couper le souffle !
 
Mais alors comment tu fais ? Ben oui, comment tu fais pour pas vexer ton mari ?
 
« Chéri, je veux bien t'épouser, mais tu sais, je suis issue d'une famille corse et chez nous les Corses, on ne change pas de nom de famille. C'est comme ça, c'est la dignità ! Je sais c'est difficile autant pour toi que pour moi… » ; ou, plus direct mais aussi risqué : « Chéri, je veux bien t'épouser mais… Madame Concombre, ça m'emballe pas trop… Permets donc que je conserve mon nom. »
 
Oh le coup de stress… Non mais c'est vrai, madame Concombre, ça le fait pas, non ? Même calligraphié à l'encre de Chine avec une plume d'oie, Madame Concombre reste Madame Concombre…
 
« Madame Concombre, enchanté, je suis Bertrand Lambert, votre conseiller financier. Pffff ! Ahahah !… Oh, excusez-moi, je suis vraiment désolé… pffffff, ouah ahah ! Hum. Pardonnez-moi, je suis vraiment vraiment désolé… Bon, parlons de votre PERP… pfff ah ah ah, ou de vos salades si vous préférez !!! Mouah ! Ah ! Ah ! Elle était bonne celle-là! »
 
En plus, au mieux, si tu te maries, t'es obligée de te coller le Concombre au patronyme, alors tu le mets en petit ? Tu fais exprès d'écrire mal pour pas qu'on lise ? Tu abrèges ? Concom. Madame Concom ? Madame Culcul ? Madame Con com… une bite ? Madame Con ?… :-( Là y a pas de solution. Tu divorces.
 
Ou tu fais changer une lettre ? Ah ouais, c'est la parade, ça. Tu vas à la mairie pour faire changer une ou deux lettres. Sauf qu'on n'est pas cons (justement), les monsieur et madame Comard, La Bute, Coulle, Saloupe et j'en passe, vont pas aussi facilement renier une hérédité qui a mis des générations à s'assumer difficilement pour en un seul coup de stylo sur le formulaire E223 refouler le traumatisme intergénérationnel aux oubliettes ? Ben non, t'es obligé d'assumer. Tu nais Concombre, tu grandis Concombre, tu meurs Concombre !
 
C'est pire qu'une tragédie antique… Autant s'appeler Antigone, Électre ou Proserpine… « Proserpine Concombre ?… – Absente ! … Oui, madame… Elle m'a dit hier qu'elle devait se suicider… »
 
Mais bon, si t'es pas né Concombre, pourquoi allez chercher les embêtements ? Pourquoi au grand pourquoi vouloir devenir un Concombre ? Mais non, enfin !
 
Moralité : avant de sortir avec un mec, se renseigner sur son nom de famille.
 
Et… en attendant, sur ce coup-là, je suis tellement con c j'vais disparaître derrière mon ombre