Et
puis, il y a la dignité, toujours la dignité…
Mais jusqu'où faudra-t-il que je descende pour me la foutre au cul
ma dignité ? Y a-t-il un moment où elle vous lâche, la
dignité ? Un moment où vous seriez prêt à faire n'importe
quoi ? Faut-il être sur le seuil des quatre planches pour
accepter d'être sauvé ?
Quand
tu es tombé tout en bas, tu ne peux plus que remonter. Alors,
faut-il tomber tout en bas ? Faut-il en passer par là ?
Poursuivre ce raisonnement est difficile, peut-être parce que je me
rends compte que je suis en train de descendre tout en bas, dans une
glissade qui ne finira sa course qu'au fond du ravin, alors j'ai
peur.
Si
encore, on pouvait passer son tour ? Admettre qu'on a mal joué
et reprendre au départ. Ben non, la seule solution, si on veut
vraiment passer son tour, c'est… N'y pense même pas ! Et
encore on n'est pas sûr de se remettre sur la case départ. Ils y
ont pensé les gens qui passent à l'acte ? Ils se sont
renseignés avant, pour savoir si on avait le droit de rejouer ?
Ou alors ils se sont dit qu'ils verraient bien, une fois de l'autre
côté… Ptet qu'ils jouent à un autre jeu à l'heure actuelle ?
Avec d'autres règles… En tout cas, j'espère qu'ils ont de
meilleures cartes que celles qui les ont poussés au game-over
ici bas. Les voix du Seigneur sont impénétrables et le resteront
apparemment encore un bon moment. En même temps, arrivé à ton
point de non-retour, ptet que tu te fous royalement de ce qui
t'attend et que même si c'est Saint Pierre qui te reçoit avec son
plus beau sourire, ben tu lui diras d'aller se faire foutre, dans un
dernier élan anarchiste et désespéré et que son jugement dernier,
ben, il peut se le fourrer là où tu penses. C'est vrai, ça ?
Ptet bien que c'est comme ça que je réagirais moi, si j'étais
vraiment au bout du rouleau au point de vouloir tout bazarder, corps
et âme. Pourquoi on devrait rendre des comptes, merde ? Quand
toute sa vie, on s'est déjà pris la tête ? Tu crois qu'il
pense à ça le suicidé, au moment de monter là-haut ? Alors…
euh…voyons… est-ce que je vais me faire engueuler d'avoir abréger
ma vie, ou bien va-t-on me féliciter d'avoir eu le courage de sauter
le pas ? C'est dingue, ce qui peut bien se passer dans la tête
d'un suicidé. Ça mériterait un bouquin, ça : « Psychologie
du suicidé ». Penser à faire une enquête-terrain une fois
là-haut pour valider ou invalider les hypothèses… J'imagine la
prospection :
«
Alors Richard. Vous vous êtes suicidé par pendaison au mois de mai
1992. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
–
Oui, donc bon ben c'était à
cause de mes dettes et de ma femme qui m'a trompé avec mon meilleur
ami.– Effectivement, Richard, c'était une raison valable. Une question cependant : ce serait à refaire, le referiez-vous ?
– Je ne sais pas… je dirais que ça n'était pas très agréable, déjà. Un peu long. Peut-être que j'utiliserais une autre méthode.
– D'accord Richard. Vous pensez donc vraiment que la vie ne vaut pas d'être vécue.
– Tout à fait.
– Merci Richard. »
« Bonjour Marie-Dominique.
– Bonjour.
– Marie-Dominique, vous vous êtes suicidée le 14 juillet 2002. Alors pourquoi ?
– Eh bien, je ne sais pas, en fait. Je crois que j'avais trop bu, et j'avais très mal à la tête. Je venais de me faire plaquer par mon mec, et l'alcool aidant, j'ai sombré dans un petit délire paranoïaque. J'ai attrapé la boîte de médicaments qui traînait et la bouteille de Destop pour faire passer.
– Vous regrettez ?
– Oui, bien sûr, de toute façon, je ne l'aimais pas mon soi-disant petit-ami. Je ne sais pas pourquoi le fait de boire et les bruits de la fête dehors ont créé chez moi cet état dépressif.
– Marie-Dominique, en effet, c'est dommage, car apparemment, vous alliez gagner au loto le mois suivant…
– Eh merde ! »
« Richard,
vous attendiez-vous à cela, une fois passé de l'autre côté ?
–
Ah non, pas du tout, je voyais
pas ça comme ça, mais ça va, c'est supportable au moins. »
« Marie-Dominique,
à quoi pensiez-vous que ressemblerait l'après-vie ?
–
Oh là là, mais j'y pensais même
pas, moi, ça m'est tombé dessus ! Mais si j'avais su, je peux
vous dire que j'aurais pas avalé le cocktail au Destop, qu'est-ce
que je me fais chier ! Mais qu'est-ce que vous allez en
faire d'ailleurs, de votre caméra, y a même pas la télé ici.– Effectivement, Marie-Dominique, l'on peut donc constater que Dieu a de l'humour…»
Oké ?
Bon. Donc… Non.
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