Car j'ai espéré,
désespérément. Mon âme de petite fille, puis de jeune fille, de
jeune femme et de femme a espéré avidement, romantiquement.
Je
me souviens de ce jour où je rentrais de la fac de médecine, en
traversant le parc, comme chaque jour. Je marchais nonchalamment, un
peu pressée de retrouver mon chez-moi pour souffler, goûter, me
distraire. À l'époque, j'étais tellement mal dans ma peau que je
me nourrissais de complexes que j'entretenais à m'en faire pleurer
très souvent. Mais en traversant le parc, ce soir-là, je revois ce
petit morceau de papier avec cette phrase écrite à la main :
« Vous êtes belle ». Je ne savais pas à qui était
destinée cette phrase, ni même comment elle était arrivée, là,
échue sur le gravier de l'allée du parc, mais, elle m'a ravigotée
pendant quelques instants. C'était comme si elle m'était destinée,
à moi et rien qu'à moi. Comme si quelqu'un m'avait observée et
avait scrupuleusement placé ce petit mot sur mon passage. J'ai vécu
sur un nuage de romantisme tout le long de ma traversée du parc et
bien des jours après.
Voilà
un exemple de la puissance de mon désespoir, à cette époque, qui
pouvait facilement me faire prendre des vessies pour des lanternes.
Mon
esprit me joue encore des tours à l'époque actuelle, comme s'il
voulait que je ne renie pas ce côté romantique et éperdu d'amour
que mes complexes m'ont fait cultiver. C'est avec Matthieu que cela
s'est le plus exprimé l'année passée. Je pourrais écrire un roman
à l'eau de rose d'anecdotes vécues, en omettant la part de hasard
et de fantasmé. Un soir que nous travaillions ensemble, je remontais
le couloir qui menait de l'infirmerie à la salle des éducateurs et
je croise une résidente, Joséphine. Au même moment, Matthieu entre
dans mon champ de vision, face à moi, et fait en regardant
Joséphine : « Si tu as besoin de moi, tu m'appelles,
hein ? » Évidemment qu'il s'adressait à Joséphine, mais
dans ma tête, Joséphine, c'était moi, parce que, oui, là, c'était
bien moi qui avait autant si ce n'est plus besoin de lui. La vie joue
des tours comme ça, elle s'amuse à jouer avec nos états d'âme,
nos besoins, nos fragilités. Dans la salle du personnel, encore une
fois, comme ça, en réunion, nous parlions d'un jeune handicapé qui
avait maille à partir avec sa douce, une résidente, avec qui il
formait un « couple ». Il s'agissait d'une histoire
d'amour où l'un avait tellement d'emprise sur l'autre qu'il le
faisait souffrir. Je ne me souviens que de cette phrase de Matthieu,
parlant de ces deux résidents, en s'adressant à moi (ou alors
est-ce encore une construction de mon esprit) : « Ils ont des
choses à vivre, ensemble ». Mon hypersensibilité sentimentale
m'a immédiatement fait tirer partie à son avantage de cette
situation. Je passais dans un continuum espace-temps où les rôles
étaient inversés. Il ne s'agissait plus de ces deux résidents,
mais de moi et de lui. Mon imagination prolixe s'accaparait tout de
suite le version fleur bleue. Heureusement que je n'ai pas répondu
de vive voix, mais franchement, j'étais à deux doigts.
Il
fallut aussi un autre soir qu'il passât à côté de la table où
j'étais assise avec quelques résidents qui dessinaient. Il commence
à jeter un œil sur les dessins, depuis le bout de la table où il
était jusqu'à l'autre extrémité de celle-ci où j'étais moi-même
assise près d'une résidente. Il y va de son commentaire au fur et à
mesure qu'il remonte la tablée : « Oh il est joli ton
bonhomme, Sabrina ! Très jolies tes fleurs, Amandine !
Super, Vanessa, ta maison ! » Il m'a semblé qu'il n'avait pas
commenté le dernier dessin, que j'avais sous les yeux, comme un
étendard que j'aurais brandi sous son nez si l'on avait été dans
un film de Tim Burton : un joli cœur tout rose.
J'étais
prête à écrire des scénarios chez Harlequin.
Merci
la vie. Tu te joues de nous, tu t'amuses à créer des situations
ambiguës. Mais tu devrais savoir que pour un petit cœur comme le
mien, ça peut faire plus de dégâts que de bien et que c'est encore
pire lorsque l'on est déprimé car dans ces moments-là, tellement
accaparé par soi que l'on est, on a tendance à tout ramener à
soi. Si je parle enfin de cette dernière situation, c'est pour
montrer à quel point la vie a voulu me faire craquer, oui, c'est ça,
elle a voulu me faire craquer, lorsque j'ai accompagné des résidents
au cinéma avec Matthieu : le film choisi, c'était les
Émotifs anonymes avec Isabelle Carré et Benoît Poelvorde.
L'histoire d'une jeune fille extrêmement émotive, malmenée par ses
accès émotifs. À la
sortie du film, pendant lequel bien sûr, je n'ai manqué de faire le
rapprochement entre les problèmes émotionnels de l'héroïne et les
miens, il fallut que Matthieu fume sa clope et me dise qu'il trouvait
Isabelle Carré vraiment très jolie. Je suis sûre que j'ai rougi,
quand bien même il ne parlait absolument pas de moi.
Mon avidité sentimentale, elle, me faisait et me fait encore saisir chaque opportunité pour tourner le film de ses fantasmes, c'est dingue.
Mon avidité sentimentale, elle, me faisait et me fait encore saisir chaque opportunité pour tourner le film de ses fantasmes, c'est dingue.
Alors,
j'ai compris. Oui, c'est là que j'ai compris que j'avais la
sensibilité affective d'une gamine de quinze ans. Prends ça dans la
tronche, déjà. Assimile. Une petite fille qui découvre les
sentiments et les sensations amoureux.
Évidemment,
cette faiblesse, si elle n'est pas vite transformée en force te
fracasse contre le mur du réel. Je
n'irai pas jusqu'à dire que ma vie sexuelle est à l'origine de mon
échec professionnel, enfin de mon incapacité à me projeter dans
une vie professionnelle, mais je serais tentée, tout du moins, elle
y a participé. La
fille qui ratait tout,
sponsorisée par les préservatifs Manix. Il faudra y penser...
Suis-je
maintenant dans la catégorie, « recueille le fruit de ses
multiples ratages affectifs » ? Vit sur ses « regrets »
et habitée par l'échec et le désespoir de n'avoir un jour une vie
sexuelle épanouie ? Peut-être…
J'ai
donc beaucoup quitté, pas seulement les situations, les gens aussi.
Je les ai fuis, pour ne pas leur faire subir mes ratés émotifs. Et
j'ai fui pour me protéger. Les gens que j'aimais...
Allez,
la page est tournée. Je dois la tourner la page (message récurrent
envoyé à ma caboche). Et à l'instant je la tourne : j'entends le
crissement du grain de son papier, l'air qui s'engouffre sous sa
courbe aérienne qui va bientôt s'inverser pour coller à sa voisine
de droite. Je vais tenter de t'oublier, Matthieu, tu m'as offert mon
conte de fée, mais l'illusion doit laisser la place au réel,
maintenant. De toute façon, je n'étais qu'un nuage transparent au
milieux des tornades qui gravitaient autour de toi. Passera le temps,
les sentiments, et les tourments.
Je
lis Céline et ça résonne en moi. « Je n'en finissais pas de
quitter tout le monde » ; « C'est peut-être ça
qu'on cherche à travers la vie, rien que cela, le plus grand chagrin
possible pour devenir soi-même avant de mourir ».
C'est
peut-être ça que je cherche moi, en quittant les gens, le chagrin
qui rend à soi-même. Pourquoi on se sent vivre dans le chagrin ?
On sent la déchirure, le poids du passé, les souvenirs, les
émotions vécues. On sent aussi l'inachevé, le remord, le manque,
le vide.
J'en
peux plus. Je voudrais arracher de ma tête ce truc qui me bloque,
trouver ce qui me ferait avancer. Je me suis construite sur des
échecs et ceux-ci me pourrissent le crâne. Je voudrais revenir en
arrière, comprendre et résister aux assauts de mes peurs, les
affronter, trouver du soutien, ne pas lâcher, saisir la main tendue,
et ne pas m'en décoller. C'est pas que je n'ai pas eu de mains
tendues, mais… J'ai envie de pleurer là, en repensant à mon
travail de sape. Je me suis programmée pour rejeter toute aide. Je
voudrais leur dire à toutes ces mains tendues que je n'ai pas
saisies que je suis désolée, que je n'ai pas réussi, que j'aurais
tant voulu, que je ne sais pas ce qui va pas chez moi, que j'ai tant
besoin d'aide. J'ai tant besoin d'être sauvée… sauvée de
moi-même, pour être apaisée, soulagée, entourée.
J'ai
besoin d'aide, terriblement besoin d'aide, et plus de ces regards
navrés, impuissants à m'aider et qui finissent par être le signal
d'un abandon. Je veux plus qu'on m'abandonne. Je veux qu'on me
retienne, qu'on compte sur moi, qu'on essaie de m'aider, vraiment, au
lieu de prendre cet air navré au moment où je pars. J'ai tellement
pleuré d'être ainsi abandonnée. J'ai l'impression d'appartenir à
cette catégorie des gens à la dépression inéluctable, ceux dont
on se dit : « c'est comme ça… » « pourtant,
on a essayé ». Mais non ! Bon sang ! Pourtant, on
n'a pas essayé ! On a juste essayé de me faire rentrer dans un
moule, mais jamais de me comprendre !! J'avais besoin de vie,
moi, pas juste de règles et de principes et de cadre… de vie,
d'amour. J'étais intelligente, j'avais des bonnes notes, alors
c'était le principal ! Et pourtant, moi je sais que j'avais
besoin d'autre chose. Et c'est cet autre chose qui me hante
maintenant et me retient, joue avec moi, me nargue : « Ah
ah tu vois, t'avais besoin de moi, t'as pas voulu me voir, eh ben
t'as raté ta vie ! Hihi ! » On vit pas sur des
regrets ? On n'avance pas, avec des regrets. Point. Mais les
regrets, comment ça se quitte ? On prend un comprimé et voilà,
plus de regrets ? Je suis avec l'ami Xanax, et pourtant, ils
sont toujours là.
Je
suis pas ce que j'ai l'air ; j'ai l'air de ce que je ne suis
pas : un zombi en sursis, un zombi, être sans vie, vidé de sa
substance. J'en peux plus…
Je veux renaître,
ça j'en suis sûre : je le veux ! Je le veux de toutes mes
forces, de toute mon âme, de toutes mes cellules ! Je veux
repartir sur la route des désirs, des envies, des sourires, des
émotions, des amitiés, des rencontres, des souvenirs heureux. Je
veux pas accumuler les souvenirs malheureux. Ma besace est déjà
pleine. Laissez-moi le temps pour ceux-là, donnez-moi du répit.
Autorisez-moi une dispense au registre des disparitions, tristesses
et remords. Je vous promets que je saurai utiliser cette dispense à
bien pour accueillir plus forte ces souvenirs-là. Parce que là, ils
m'écrasent, ils me poussent avec eux, vers le bas, ils me tentent,
ils m'attirent. J'veux du bonheur pour compenser. J'veux plus
d'échecs et de remords. J'peux plus.
Bon mais je vous
désespère là. Je m'apitoie sur mon sort, je vous sors le
larmoyant, et vous n'êtes pas dupes. D'ailleurs
ça ne prend pas avec vous. On vous la fait pas le coup de
« j'aimerais bien mais j'peux point. » C'est de la
couardise, de la cinquième vitesse avec le pied sur le frein qui
vous épuise comme ça m'a épuisée et a épuisé mes prétendants
(si vous avez bien suivi). Et je ne compte pas écrire la suite des
Misérables.
Alors maintenant, ce sera sexe. Et libre cours à mes fantasmes !
Bonjour,
RépondreSupprimeren faisant une recherche sur la dépression je suis, par hasard, tombé sur votre blog.
Je l'ai lu, j'ai apprécié et j'ai voulu vous laisser un message...
J'ai été tour à tour été touché, dérangé, excité, attristé...
C'était juste une petite contribution pour vous dire que vos écrits ne laissent pas indifférents et se vivent de l'intérieur.
Alors je vous remercie, bonne continuation.
Je repasserai surement...
Un grand merci à vous pour ce commentaire qui me touche beaucoup !
SupprimerBonne continuation à vous aussi, espérant que vos recherches vous mèneront à bon port. ;-)