Je
cours. Je fais du sport pour oublier, j'écris pour oublier, je lis
pour oublier que je suis seule et sans travail. Eh oui, nous
les chômeurs déprimés, on court, on lit, on écrit. On court après ce qui
nous manque, on lit pour comprendre et on écrit pour exorciser,
sortir de soi ce nœud de névroses et de doutes existentiels. J'en
ai lu des livres sur le développement personnel. Je les ai quasiment
tous. À un moment, je ne
fréquentais que ce rayon dans les Fnac et autres Cultura : « Oser
être soi »; « Apprivoiser ses émotions »; « Le
courage d'être soi »; « Écoute
ton corps »; « Demain ça ira mieux » et autres
titres riches d'espoir et de promesses. Ça remplit notre manque,
c'est rassurant de mettre des mots sur le mal-être, de le
comprendre, de le décortiquer. Ça donne la sensation de le
maîtriser, et ainsi permet de mieux l'admettre, de l'accepter. Ça
donne aussi des trucs pour engager le combat contre soi-même :
respirer, accepter, avancer. C'est un sursis. Comme le jogging qui
redistribue les cartes mentales en secouant les mauvaises pensées à
doses d'oxygène, en les court-circuitant un moment. Secouez très
fort la tête de gauche à droite, ce serait plus simple...
Et
quand on a bien couru, quand on a bien lu, alors on passe à
l'écriture. Brassage, réassurance, expulsion. Brassage,
réassurance, expulsion. Un peu comme un massage cardiaque, on
nourrit la machine, on brasse et on expulse. C'est un mouvement
circadien, un cycle de vie nécessaire pour ne pas sombrer, pour
rester en vie, ne pas laisser passer la dose d'anesthésiant qui mute
en mort-vivant, capable d'être là, mais mort pour ne pas avoir
réussi à écouter ses émotions. Gare à la télé, aux succédanés
de vie sociale qui n'en sont pas et qui arrivent à faire croire
qu'on est en vie, guéri, comme tout le monde. On s'y perd, car le
cerveau, quand il va pas, veut se gaver de choses, d'aliments, de
gens, pour fuir l'état de dépression. On est au milieu des autres
sans être avec eux, sans ce sentiment de communion entre êtres
humains, on donne le change, on mange ou on ne mange pas, selon, on s'abêtit
devant la télé, et passe le temps...
Au
club des déprimés, nombreux sont les adhérents. Mais comme c'est
tabou, peu sont reconnus comme tels. Je joue à la console parce que
c'est super ! Je cours pour me dépenser ! Méfie-toi que
ce ne soit pas surtout pour oublier...
Cela
dit, on s'habitue à avoir raté sa vie et à être une galérienne.
On se lève à l'heure qu'on veut, on fait ce qu'on veut.
C'est pas magique ? On est embêté par personne, pas
d'impératifs, pas de responsabilités. C'est simple, pas angoissant.
Sauf lorsqu'il faut payer les factures. Alors là, on gruge dans toutes
les administrations ; on ravale le peu de fierté qui nous restait parce qu'on est obligé de demander de l'aide.
Voilà où j'en suis. Alors pas étonnant qu'on s'habitue à une telle situation. On devient juge suprême de tout et n'importe quoi. On passe son temps à critiquer les autres, chaque situation rencontrée devient une occasion de faire ressentir son mal être. Car au fond, on n'est vraiment pas bien et pas heureux, mais comme on se donne sûrement pas les moyens, que ce qui nous arrive est de notre faute, qu'il faut se bouger, que l'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt ! ben on doit bien trouver un moyen de ne pas y penser et d'exprimer notre malaise par un moyen détourné, alors on critique, c'est notre façon d'exprimer notre rancœur sans que celle-ci nous retombe sur le coin du nez.
Voilà où j'en suis. Alors pas étonnant qu'on s'habitue à une telle situation. On devient juge suprême de tout et n'importe quoi. On passe son temps à critiquer les autres, chaque situation rencontrée devient une occasion de faire ressentir son mal être. Car au fond, on n'est vraiment pas bien et pas heureux, mais comme on se donne sûrement pas les moyens, que ce qui nous arrive est de notre faute, qu'il faut se bouger, que l'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt ! ben on doit bien trouver un moyen de ne pas y penser et d'exprimer notre malaise par un moyen détourné, alors on critique, c'est notre façon d'exprimer notre rancœur sans que celle-ci nous retombe sur le coin du nez.
Parce
que c'est bien connu, un chômeur, c'est quelqu'un qui ne veut pas se
donner les moyens, qui choisit sa situation, qui ne veut pas se
bouger. Jamais on ira penser qu'il y a derrière un grand mal de
vivre, une incapacité à vivre… Mais oui ! Nous sommes des révoltés ! Des
gens qui ne veulent pas se satisfaire d'une vie qui abîme, qui
maltraite, qui fait croire qu'on vit parce qu'on bouge et qu'on gagne
des sous. Un vie qui tue à petits feus. Et si l'inactivité, c'était
une façon de se protéger, de dire stop à la maltraitance ? Chacun
ressent plus ou moins la maltraitance. Peut-être que parmi ceux qui
se retrouvent sur le carreau, on est plus nombreux à la ressentir
vivement cette maltraitance quotidienne, peut-être qu'on y est plus
sensibles et qu'elle nous abîme plus que les autres ?
Je
me rends compte que j'essaie de justifier ma situation, que j'essaie
de me trouver des circonstances atténuantes. Je me juge encore. Je
n'en suis pas sortie...
hello,
RépondreSupprimerJe suis passée sur psycho.com et j'ai cliqué sur ton lien. Ce texte que je viens de lire est d'une lucidité à toute épreuve. Bien sur que tu te juges pour avoir l'impression d'être sur le bord de la route et de voir les voitures passer sans avoir la possibilité d'y monter et d'avancer. Quoi de plus frustrant et bien sur au regard de la société et ce que on nous a inculqué, qu'est ce que tu es... Je pense en te lisant à cette jeune et talentueuse écrivaine qui désoeuvrée parce qu'elle n'avait pas trouvé de boulot, a commencé à écrire dans un café pour ne pas être et se sentir seule et puis finalement ses histoires ont été appréciées... c'est une vraie et belle histoire.
Il n'empêche, comment trouver le fil pour se sentir un peu plus exister joyeusement lorsque l'on ne se sent pas utile dans la société civile parce que l'on cherche un travail ? c'est une grande question, et l'on revoit ses exigences à la baisse pour commencer à être... et à devenir sans pour autant baisser les bras.
Bon courage. Tu as du contenu et du style.
Commencer à être, oui, voilà, ça doit être ça ! être sans forcément chercher à devenir... devenir n'a qu'un temps en plus. Au bout d'un moment, on cesse de penser à devenir, comme tu dis, on revoit ses exigences à la baisse.
SupprimerMerci pour ton commentaire très structurant.
N'hésite pas à commenter. Bise.