Depuis deux semaines, j'ai
le spectre de la vieille tante au-dessus de la tête qui me nargue :
«
Ca vient, ça vient, patience !…
» Elle me regarde avec un
petit sourire sadique. Vous savez ? La vieille tante qui fait peur
quand on est enfant. Celle qu'a un gros bouton poilu sur le menton,
les joues glacées comme si elle était déjà dans le caveau, fixée
à son fauteuil devant la cheminée, les jambes écartées avec vue
panoramique sur l'entrejambe flasque et variqueux. Celle que les
parents continuent d'aller voir par acquit de conscience avec les
gamins qui traînent la patte. Celle qui ressort chaque fois sa
vieille boîte à gâteaux en fer oubliée dans le fond d'un placard,
avec les mêmes gâteaux qui virent aux bouts de semelles diaphanes
et infects au fil des ans (le fabricant de ces gâteaux devrait être
brûlé vif). Oui, celle-là ! Elle me lorgne du bout de ses binocles
en culs de bouteille, je ne sais par quel miracle, debout ! Elle fait
glisser sa jambe veinulée avec la grâce d'un échassier de droite à
gauche, comme pour me dire, viens par là mon petit, tout doux, oui,
viens rejoindre le club des vieilles tantes ménopausées avant
l'âge, celles qui légueront leur appareil génital à la science
faute de n'avoir beaucoup servi. « Viens…
Oui, viens ! » Puis elle sort d'une de ses poches un vieux gâteau
ranci attaqué par la vermine, avec deux-trois asticots en guise de
garniture et de l'autre un godemichet en or qu'elle me brandit sous
le nez, en soulevant ses jupons d'où pend un amas de toiles
d'araignées. « Ah ! Ah ! Ah ! » qu'elle vocifère.
Ni
une ni deux, l'idée de la contentionner bien serré me prend. Je lui
mets son gode entre les gencives, j'attrappe ses bas et je lui fais
remonter bien haut sur la tête comme si elle allait braquer une
banque, je fais un nœud et je balance le tout aux ordures.
Tiens
et si j'allais voir "les Gazelles" au ciné ? Des
trentenaires célibataires en pleine décompensation. C'est pour moi
! Pourvu que ça finisse bien sinon, j'ai plus qu'à filer au
Carrouf' m'acheter une boîte à gâteaux.