Prologue ou Histoire de la fille qui ratait tout

Je ressens le besoin d'écrire mon histoire, de me raconter, comme si j'avais besoin des mots pour me sortir d'une impasse, d'un mal être, d'une incapacité à aller de l'avant. J'ai l'impression d'avoir fini un cycle, d'avoir bouclé une boucle, et d'en avoir saisi le mécanisme, de cette boucle, comme un système complexe et bien rodé dont on finit par percevoir le fonctionnement.

Et à trente ans – trente deux exactement – je crois que je peux le dire, j'en suis là, à ce moment de ma vie où je commence à comprendre mon fonctionnement. J'ai découvert qui j'étais : la fille qui rate tout.

vendredi 26 octobre 2012

Dépression - La ronde des CV


J'ai 32 ans, viens d'en passer une dizaine à essayer d'ôter ce sale grain de sable qui grippe ma machinerie, pensant qu'il n'y aurait que lorsque je l'aurais attrapé et jeté loin que je me sentirais bien avec moi-même, libérée, épanouie… Eh non. Toujours pareil. Les mêmes névroses qui tournent en rond dans ma cervelle de moineau. Pourquoi j'y arrive pas, moi, à l'avoir cette foutue vie épanouie ? Pourquoi j'y arrive pas, moi, à le décrocher ce boulot qui me rendrait heureuse, qui me ramènerait ses boursouflures à mon portefeuille ? Pourquoi j'y arrive pas, moi, à me sentir entourée par de nombreux collègues prêts à se fendre la gueule à tout moment pour décompresser ? Je rentrerais chez moi, la satisfaction du travail accompli et la joie à la perspective de regarder l'épisode de ma sitcom préférée. Pourquoi j'y arrive pas, moi, à me sentir comme mes comparses prête à avoir des enfants, à en avoir déjà fait un ou deux, à m'en réjouir et vivre ma vie de jeune mère active et rayonnante ? Les joues bien fraîches, le teint lumineux de celle qui s'offre des ptites robes, des manucures, des colorations ? Pourquoi j'y arrive pas, moi, à me contenter des bisous chaleureux d'un mari aimant et beau qui ne s'inquiéterait que de savoir ce qu'on mange ce soir et si les enfants ont bien fait leurs devoirs ? Qu'est-ce qui s'passe dans ma sale caboche ? J'ai pas droit à mon lot de bonheur de la jeune trentenaire ? C'est parti en couille, c'est ça et y a plus rien à faire ? Je vais devenir aigrie et rejoindre la communauté des gens qui sont « passés à côté » ? Ceux qui auraient bien aimé, mais… Merde, merde et merde, quand j'y pense. Je suis sous Xanax, y a pas un rond qui rentre dans ma caisse en fin de mois, ma vie affective ressemble à la fin du monde, je passe mes journées à me dire qu'il faut vraiment que je trouve du boulot sans réussir à me motiver… Mais à part ça ? Il est où le problème ?

Alors je passe mon temps à écrire des CV, de cette façon, j'ai bonne conscience. Je les envoie, j'attends la réponse, comme ça, on peut pas me dire que je fais rien pour m'en sortir.
Je pourrais être « conseillère en CV », à force, je les rédige les yeux fermés : Madame, Monsieur, tout l'(immense) intérêt que votre annonce suscite pour moi… Forte de mes nombreuses (et variées) expériences, j'ai acquis un certain savoir-faire (pour ne pas dire un savoir-faire certain)… quelqu'un de réactif, (vif, au poil soyeux, dévoué), rigoureux, (et plus ponctuel qu'un geek à l'heure du lancement de l'iphone5) aimant l'émulation du travail en équipe (la fraternité dans l'effort de production)… S'il m'en est donné l'occasion, je mettrai toute mon énergie (et même bien plus) à votre (si aimable) service… espérant que j'aurai su retenir votre (si précieuse) attention… veuillez agréer, Madame, Monsieur…Veuillez agréer mon cul, oui ! L'expression de mes déprimantes sensations d'avoir raté ma vie et de mes envies de vous péter au nez !

Ils sont supers mes CV, ils donnent à tout le monde l'envie de m'embaucher : je sais faire de moi le personnage qu'on a envie d'embaucher : la fille avec plein d'expériences, qui les a multipliées pour découvrir le monde, avant de s'engager vraiment dans un domaine mûrement choisi, je devrais juste ajouter : « mais surtout n'oubliez pas que j'ai un gros problème psychologique qui m'empêche d'avancer et me fait quitter tous mes jobs au bout de quelques mois, un an maximum (mais c'est parce qu'il y avait un mec canon). Les expériences, je les ai multipliées, parce que je n'ai pas réussi à m'accrocher à quelque chose, je n'ai pas réussi à affronter la pression, les doutes. J'ai cédé au vent, j'ai rompu, comme dirait le roseau boiteux. Chaque fois, je me suis éclipsée, au lieu de m'affirmer. Oui, Mesdames et Messieurs, je n'arrive pas à m'intégrer et oui, mon CV est merveilleux, car je suis devenue une experte en rédaction de CV grâce au temps de latence entre le moment où on quitte un job et celui où on en cherche un autre. Oui, je suis une fille apparemment dynamique, qui a pris plein d'initiatives pour monter des ateliers, des projets, mais la plupart ont avorté ou n'ont eu qu'une portée très limitée. Oui, Mesdames, et Messieurs, je vous l'avoue, allez, parce que vous avez une bonne tête, je suis une ratée. J'ai rien investi vraiment, je ne me suis accrochée à rien « pour y arriver », je n'ai pas réussi à me projeter dans le futur pour imaginer avec joie les fruits d'un labeur méritoire qui aurait valu qu'on s'y accroche. Non. J'ai tout lâché, dès qu'on m'en a donné l'occasion et personne ne m'a retenue. Ça fait rêver, non ? D'ailleurs si je suis là, c'est parce que je veux avoir bonne conscience, faire semblant de tout faire pour y arriver et qu'on ne dise pas que c'est de la mauvaise volonté, mais j'y crois pas une seule seconde à votre job. Si j'ai lâché tous mes autres jobs, au bout de quelques mois, c'est bien ce que je vais faire avec le vôtre, à moins que le Saint-Esprit ne se penche sur moi pour illuminer mon cerveau et me transmettre une révélation ! »

Voilà, quoi. L'état des courses. Pas faribolant (ou mirobolant, ou faramineux, ou folichonnant). Bref. Vous avez compris la fille, quoi.
 
Mais, je regarde encore et toujours les annonces de Pôle emploi défiler sur mon écran... C'est devenu, un rituel, toujours pour cette bonne conscience, et si mon profil correspond à une annonce, alors ptet que je me lèverai jusqu'à la console, que j'attraperai une feuille, un stylo, que je ferai marcher mon imprimante offerte par papa et que je nourrirai encore un peu plus ma bonne conscience au moment de jeter l'enveloppe parfaitement chiadée (grand prix du Curriculum Vitae si vous avez bien suivi !) dans la boîte au lettres. J'y crois plus, de toute façon. Je suis plus la ptite jeune fraîchement polie par les bancs des lycées, écoles et autres universités, pleine d'illusions. Je suis lasse, révoltée, vieille et tout de traviole, xanaxée depuis peu. Je les ai trop dit ces mots : « motivée » ; « diplômée » ; « expérimentée » ; « solide » ; « confiante » ; « disponible » ; « à l'écoute » ; « sérieuse » ; « travailleuse »… A les avoir trop utilisés, je les ai usés, ils n'ont plus de sens, ce ne sont plus que des sons qui sortent de ma bouche, le regard vide, la gorge sèche, le ton de la voix aplati. Comment faire croire encore ? Donner l'illusion d'un quelconque possible dans ce corps alangui par l'inactivité, la peur et les névroses ? L'envie n'y est plus, de jouer à cette grande comédie. Elle est partie avec mes échecs. Trop d'échecs tuent toute motivation. Et j'dis quoi alors ? « S'il vous plaît, prenez-moi, car je suis en fin de droits, et vraiment, je sais pas ce que je vais faire. J'ai besoin que vous croyiez en moi, même si je ne vous inspire pas trop là. Et en plus, je suis pas vraiment honnête, paske j'ai pas besoin que de ça, j'ai besoin qu'on me porte à bout de bras, moi. Je suis malade, quoi. Déprimée. »

 
 

1 commentaire:

  1. Je comprends ta détresse j'ai vécu la même chose dans ma vie sauf que je réussissais mes métiers une fois sur deux. A la longue j'ai compris que je n'étais pas fait comme les autres sur le plan psychologique, et que j'étais assez paresseux, ce qui est un signe de forte intelligence, et ce qui semble être ton cas aussi. Donc ne te flagelles pas, la plus part des métiers t'ennuient "parcequ'ils sont ennuyeux" tout simplement je te rassure. Pour ne pas t'ennuyer il te faudrait un métier très créatif, mais comme la création paye mal il faudrait en contre partie bosser dur, et comme on est paresseux et bien c'est le cercle infernal. On m'a mesuré un QI de surdoué, et je suis disynchnronique (50 % des surdoués) et donc réfractaire aux lois sociales humaines, ce qui fait de moi une sortee d'anarchiste en constante survie. Ce qui pourrait être ton cas aussi ? Mais j'assume maintenant et je me dis que j'échappe à la robotisation sociétale car il me parait évident que la société nous a robotisé ainsi que la nature : boulot, dodo, mari, marmots, pour répliquer l'espèce humaine. Par chance je suis donc inutile au système et jouis de pouvoir l'exploiter comme un véritable lierre : je ne me suis même pas reproduit : trop de travail à dépenser ! Nous sommes probabalment semblables tous deux. Très intelligents, plutôt créatifs, artistes sans doute, anticonformistes, bref tout ce qui me plait dans un individu et qui me donne un grand coup d'air frais. Evidemment quand on ne sait pas qu'on est du bon côté, comme c'est ton cas, on se culpabilise à fond de tout rater, d'être inutile. En fait si tu rates tout, c'est que pratiquement tout sur terre est emmerdifiant, et qu'il y a très peu de domaines vraiment passionnants : arts, recherche scientifique, écriture, ect... Donc tu ne sais pas la chance d'être vivante, autonome et réaliste ... Et créatrice .. Tu as créé un blog. Moi j'en suis à mon troisième blog et j'entame une carrière d'artiste. Une partie de mes amis sont comme moi : anarchistes, associaux, très mobiles, très intelligents. Pascal_2007

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