Prologue ou Histoire de la fille qui ratait tout

Je ressens le besoin d'écrire mon histoire, de me raconter, comme si j'avais besoin des mots pour me sortir d'une impasse, d'un mal être, d'une incapacité à aller de l'avant. J'ai l'impression d'avoir fini un cycle, d'avoir bouclé une boucle, et d'en avoir saisi le mécanisme, de cette boucle, comme un système complexe et bien rodé dont on finit par percevoir le fonctionnement.

Et à trente ans – trente deux exactement – je crois que je peux le dire, j'en suis là, à ce moment de ma vie où je commence à comprendre mon fonctionnement. J'ai découvert qui j'étais : la fille qui rate tout.

dimanche 10 mars 2013

Calvaire chez l'notaire

Il m'a été donné d'assister à la vente d'un bien immobilier. Je dois le dire, c'est chiant au possible ! Je pensais que nous allions nous asseoir cinq minutes, signer le contrat de vente et repartir ! Non ! The show must go on ! Un notaire, c'est souvent un avocat frustré et donc certainement un être privé de ses rêves de grandes plaidoiries captivantes qui suscitent l'admiration de tous… Eh bien qu'à cela ne tienne, la logorrhée verbale à assoupir un hyperactif, vous l'aurez ! Moi aussi petit notaire, je le veux mon moment de gloire et de reconnaissance, où l'attention de chacun est fixée sur moi. Je veux le tenir ce crachoir tant mérité par mes longues années d'études. Je veux me sentir grand et majestueux au milieu de vous, les pleutres, qui ne piperez mot devant ce que je vous servirai en récital.
 
Ils doivent vraiment se faire super chier pour sembler tout frais et tout pimpants à l'idée de nous lire les trente pages du contrat de vente. À moins que ce ne soit leur façon à eux de nous crier leur désespoir, qu'on se rende enfin compte du calvaire qu'ils vivent au beau milieu de leurs articles, de leurs alinéas et autres décrets d'application.
 
Bien installés que nous étions, nous allions donc tous ensemble, dans la gaieté et le bonheur, lire les trente pages du contrat de vente. J'ai cru que c'était une blague moi au départ, mais non ! La dame exercée à cette discipline des jeux notariaux, lunettes au poing, prit les feuillets, tourna la première page avec la lenteur d'un crabe ébouillanté et commença sa lecture sur son ton didactique. Moi j'étais pas préparée à cette lecture impromptue, j'avais même pas acheté de billet, et j'étais pas passée aux toilettes avant, j'avais de plus une matinée bien remplie en activités derrière moi : j'ai donc pressenti le calvaire qui m'attendait.
 
La dame était sûrement allée aux mêmes cours de catéchisme que moi parce qu'elle lisait très lentement ses psaumes et ses évangiles notariaux et pourtant il n'y avait pas de mamies-sonotones au premier rang. Chacun s'enferma alors dans son effort d'attention, celui que tu fais pour paraître concerné alors que t'en as strictement rien à foutre et que ta seule hâte est que ça se termine. Mon voisin de gauche a fait tomber son verre d'eau lorsque nous sommes arrivés au chapitre du contrat de fourniture des fluides, entretien, maintenance et exploitation. J'ai cru qu'il voulait participer. Mais non, c'était même pas fait exprès. Celui de droite a demandé une aspirine. Sans rapport avec la lecture. Il avait mal au crâne. Normal. Si on n'avait pas été aussi scrupuleux et bien élevés, on aurait aussi interrompu la lecture pour demander une aspirine. Il y avait une femme sous curatelle, partie prenante de la transaction, qui égayait chacun des paragraphes par ses commentaires sans aucun rapport. C'est peut-être ce que j'ai préféré. Au milieu de l'« État descriptif de division et règlement de copropriété », on a eu droit à l'apologie du feu Stéphane Hessel, dont nous apprîmes qu'il avait le même âge que sa encore bien vivante mère ; au « désistement de privilèges et action résolutoire », ce fut le rayon lingerie des galeries marchandes qui eut ses faveurs ; pendant les « dispositions relatives à la préemption », son frère était frappé de radinerie parce qu'il n'avait pas déboursé un centime pour son anniversaire ; et pendant le « diagnostic technique », le coiffeur du boulevard Aristide Briand fut rhabillé pour l'été.
 
C'était elle, le clou du spectacle qui vola la vedette au notaire, en nous offrant, en plus, un final grandiose qui paracheva magistralement son œuvre : au notaire qui la reprenait alors qu'elle pestait sous cape sur ce trop-plein de paperasses qu'on lui demandait maintenant de parapher deci-delà sans qu'elle ne comprenne vraiment pourquoi, elle lança un joli : « Oui, c'est bon. » L'air de dire, te casse pas, tout ce que tu diras ne me convaincra pas. Et à elle seule, elle avait tout résumé.
 
Deux heures qu'elle a duré la ptite histoire… Le pire c'est qu'on connaissait déjà la fin. Pas même un chouilla de suspens pour pimenter la chose. Diable ! On aura au moins compris une chose, c'est pourquoi les cabinets des notaires sont surchargés.

6 commentaires:

  1. J'adore ! Décidément tu devrais écrire !
    (Ironie déplacée dont je m'excuse par avance)

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  2. J’ai toujours aimé les caricatures de Daumier… ses portraits des gens de droit drapés dans leur superbe, la toque visée sur le sommet du crâne… la liasse à la main… et le visage exprimant un discours pontifiant… il y a dans cette galerie de portraits des notaires !

    Chère amie, tu reprends le flambeau et je te reconnais parmi les caricaturistes. Ton portait souligne, avec des traits redoutables, l’incontournable lecture de l’acte.

    Encore bravo LFQRT !

    Ton ami Virgile
    Virgile69fr@yahoo.fr

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    1. Oh là là, c'est trop d'honneur ! Et pourtant, je n'ai pas beaucoup forcé le trait ! Mais il y a des métiers qui forcent la caricature ! Mais si on allait plus loin, j'aurais même envie de dire que notre monde tel qu'il est actuellement est légèrement caricatural...

      Bises Virgile !!

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  3. Les joies de la curatelle (qui fut renforcée pour ma mère, c'est-à-dire ressemblant furieusement à une tutelle)...Bon, là, au moins, il s'agit d'une vente, c'est toujours mieux que les dettes. Ma soeur et moi, lorsque ma mère a réussi miraculeusement à faire lever sa curatelle, on a dû éponger les dettes consécutives à des achats compulsifs les 3 premières années. Puis elle a fait des crédits, passée pas loin du surendettement, puis ça s'est équilibré. Là on parle d'une remise sous curatelle car je n'en peux plus de gérer ses papiers alors qu'elle est encore hospitalisée (elle bat des records cette année).
    Effectivement, le clou du spectacle, dans ce cas de figure, ce sont les remarques décalées d'une personne souvent désinhibée par la maladie. C'est le cas de ma mère qui est psychotique "bien comme il faut". Mieux vaut en rire...

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    1. Mieux vaut en rire, mais... Les bouffons du temps des rois n'étaient-ils pas tout compte fait des gens lucides, qui avaient la grâce de dire les choses sans détours ? Nos malades mentaux ne souffreraient-ils pas d'une perception trop accrue de la réalité des choses, qui les font basculer dans la folie ou la maladie mentale ? Moi c'ke j'en dis... En tout cas, ça fait réfléchir... ;-) Il nous manque tant de spontanéité de nos jours où tout est calculé, pensé dans les moindres détails...

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