Il m'a été donné
d'assister à la vente d'un bien immobilier. Je dois le dire, c'est
chiant au possible ! Je pensais que nous allions nous asseoir
cinq minutes, signer le contrat de vente et repartir ! Non !
The show must go on ! Un notaire, c'est souvent un avocat
frustré et donc certainement un être privé de ses rêves de grandes
plaidoiries captivantes qui suscitent l'admiration de tous…
Eh bien qu'à cela ne tienne, la logorrhée verbale à assoupir un
hyperactif, vous l'aurez ! Moi aussi petit notaire, je le veux
mon moment de gloire et de reconnaissance, où l'attention de chacun
est fixée sur moi. Je veux le tenir ce crachoir tant mérité par
mes longues années d'études. Je veux me sentir grand et majestueux
au milieu de vous, les pleutres, qui ne piperez mot devant ce que je
vous servirai en récital.
Ils doivent vraiment se
faire super chier pour sembler tout frais et tout pimpants à l'idée
de nous lire les trente pages du contrat de vente. À
moins que ce ne soit leur façon à eux de nous crier leur
désespoir, qu'on se rende enfin compte du calvaire qu'ils vivent au
beau milieu de leurs articles, de leurs alinéas et autres décrets
d'application.
Bien installés que nous
étions, nous allions donc tous ensemble, dans la gaieté et le
bonheur, lire les trente pages du contrat de vente. J'ai cru que
c'était une blague moi au départ, mais non ! La dame exercée
à cette discipline des jeux notariaux, lunettes au poing, prit les
feuillets, tourna la première page avec la lenteur d'un crabe
ébouillanté et commença sa lecture sur son ton didactique. Moi
j'étais pas préparée à cette lecture impromptue, j'avais même
pas acheté de billet, et j'étais pas passée aux toilettes avant,
j'avais de plus une matinée bien remplie en activités derrière
moi : j'ai donc pressenti le calvaire qui m'attendait.
La dame était sûrement
allée aux mêmes cours de catéchisme que moi parce qu'elle lisait
très lentement ses psaumes et ses évangiles notariaux et pourtant
il n'y avait pas de mamies-sonotones au premier rang. Chacun
s'enferma alors dans son effort d'attention, celui que tu fais pour
paraître concerné alors que t'en as strictement rien à foutre et
que ta seule hâte est que ça se termine. Mon voisin de gauche a
fait tomber son verre d'eau lorsque nous sommes arrivés au chapitre
du contrat de fourniture des fluides, entretien, maintenance et
exploitation. J'ai cru qu'il voulait participer. Mais non, c'était
même pas fait exprès. Celui de droite a demandé une aspirine. Sans
rapport avec la lecture. Il avait mal au crâne. Normal. Si on
n'avait pas été aussi scrupuleux et bien élevés, on aurait aussi
interrompu la lecture pour demander une aspirine. Il y avait une
femme sous curatelle, partie prenante de la transaction, qui égayait
chacun des paragraphes par ses commentaires sans aucun rapport. C'est
peut-être ce que j'ai préféré. Au milieu de l'« État
descriptif de division et règlement de copropriété », on a
eu droit à l'apologie du feu Stéphane Hessel, dont nous apprîmes
qu'il avait le même âge que sa encore bien vivante mère ; au
« désistement de privilèges et action résolutoire »,
ce fut le rayon lingerie des galeries marchandes qui eut ses
faveurs ; pendant les « dispositions relatives à la
préemption », son frère était frappé de radinerie parce
qu'il n'avait pas déboursé un centime pour son anniversaire ;
et pendant le « diagnostic technique », le coiffeur du
boulevard Aristide Briand fut rhabillé pour l'été.
C'était elle, le clou du
spectacle qui vola la vedette au notaire, en nous offrant, en plus,
un final grandiose qui paracheva magistralement son œuvre : au
notaire qui la reprenait alors qu'elle pestait sous cape sur ce
trop-plein de paperasses qu'on lui demandait maintenant de parapher
deci-delà sans qu'elle ne comprenne vraiment pourquoi, elle lança
un joli : « Oui, c'est bon. » L'air de dire, te
casse pas, tout ce que tu diras ne me convaincra pas. Et à elle
seule, elle avait tout résumé.
Deux heures qu'elle a
duré la ptite histoire… Le
pire c'est qu'on connaissait déjà la fin. Pas même un chouilla de
suspens pour pimenter la chose. Diable ! On aura au moins
compris une chose, c'est pourquoi les cabinets des notaires sont
surchargés.
J'adore ! Décidément tu devrais écrire !
RépondreSupprimer(Ironie déplacée dont je m'excuse par avance)
Merci Eric ! ;-)
SupprimerJ’ai toujours aimé les caricatures de Daumier… ses portraits des gens de droit drapés dans leur superbe, la toque visée sur le sommet du crâne… la liasse à la main… et le visage exprimant un discours pontifiant… il y a dans cette galerie de portraits des notaires !
RépondreSupprimerChère amie, tu reprends le flambeau et je te reconnais parmi les caricaturistes. Ton portait souligne, avec des traits redoutables, l’incontournable lecture de l’acte.
Encore bravo LFQRT !
Ton ami Virgile
Virgile69fr@yahoo.fr
Oh là là, c'est trop d'honneur ! Et pourtant, je n'ai pas beaucoup forcé le trait ! Mais il y a des métiers qui forcent la caricature ! Mais si on allait plus loin, j'aurais même envie de dire que notre monde tel qu'il est actuellement est légèrement caricatural...
SupprimerBises Virgile !!
Les joies de la curatelle (qui fut renforcée pour ma mère, c'est-à-dire ressemblant furieusement à une tutelle)...Bon, là, au moins, il s'agit d'une vente, c'est toujours mieux que les dettes. Ma soeur et moi, lorsque ma mère a réussi miraculeusement à faire lever sa curatelle, on a dû éponger les dettes consécutives à des achats compulsifs les 3 premières années. Puis elle a fait des crédits, passée pas loin du surendettement, puis ça s'est équilibré. Là on parle d'une remise sous curatelle car je n'en peux plus de gérer ses papiers alors qu'elle est encore hospitalisée (elle bat des records cette année).
RépondreSupprimerEffectivement, le clou du spectacle, dans ce cas de figure, ce sont les remarques décalées d'une personne souvent désinhibée par la maladie. C'est le cas de ma mère qui est psychotique "bien comme il faut". Mieux vaut en rire...
Mieux vaut en rire, mais... Les bouffons du temps des rois n'étaient-ils pas tout compte fait des gens lucides, qui avaient la grâce de dire les choses sans détours ? Nos malades mentaux ne souffreraient-ils pas d'une perception trop accrue de la réalité des choses, qui les font basculer dans la folie ou la maladie mentale ? Moi c'ke j'en dis... En tout cas, ça fait réfléchir... ;-) Il nous manque tant de spontanéité de nos jours où tout est calculé, pensé dans les moindres détails...
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