Ah le magasin de
bricolage ! Objet transitionnel de nos fantasmes d'aménagements. Si
si ! "transitionnel", un peu comme les doudous des enfants
qui remplacent symboliquement les parents, ben symboliquement, le
magasin de bricolage remplace tes rêves d'aménagement. Parce que
c'est le lieu de tous les possibles (enfin tout y est quoi) et
pourtant tu sais que t'en feras pas les trois-quarts (par manque de
budget, de temps, de courage surtout), mais rien que d'y être, c'est
comme si tout était encore possible.
Sauf que…
on part pas tous avec les mêmes avantages. Moi, quand il fallut que
je changeasse le joint de hublot de ma machine à laver, comme toute
célib' qui se respecte, j'ai foncé sur internet voir un tuto
(tutoriel, oui.) Et trop flattée par la facilité qu'offrait la
chose, losque le gars qui fit cela en deux minutes chrono me dit
qu'il suffisait d'un tournevis, j'aurais dû flairer le piège.
Certes, un tournevis, mais LE
tournevis et pas n'importe lequel ! Spécialement celui que tu n'as
pas dans ta boîte à outils !! Le cruciforme T20 X L80 X Y300 X P800
(T = taille / L = longueur / Y = Y en a marre / P = Pourquoi tous
ces chiffres !! Au moins je sais pourquoi il s'appelle Dexter mon
tournevis, c'est pour les psychopathes)
Alors j'y allai, chez
Leroy-Merlin. À reculons,
hélas…
J'entre
dans le sacro-saint temple des frimeurs du dimanche et je commence à
suer à grosses gouttes. Le magasin est plus grand que le Parc des
expos et rien n'indique le rayon des crucifix ! Euh des cruciformes,
mais vu que je songe à mettre fin à mes jours avec le râteau qui
est à ma portée, le premier mot est plus approprié. Non allez,
courage ! On devrait quand même y arriver !
Je
repère le rayon des tournevis sur le module informatique placé
astucieusement à cet effet. J'essaie de mémoriser le labyrinthe à
parcourir pour ne pas avoir à demander mon chemin en cours et trahir
mon dilettantisme. En même temps, point trop de scrupules n'en faut,
une femme dans un magasin de bricolage, on ne s'attend pas à ce
qu'elle t'explique le fonctionnement d'une dégauchisseuse ou d'un
compresseur à air. Mais bon, j'fais un peu comme tout le monde, je
me donne l'air d'une femme forte et indépendante qui répare sa
machine à laver toute seule. (Oui bon oké une galérienne) J'avance
d'un pas ferme, genre "j'm'y connais".
Au
bout d'une heure de recherche active de mon rayon, j'y suis enfin. Je
suis devant les tournevis ! Punaise ! Y en a trop ! Moi j'ai juste
pris le mien en sachant qu'il m'en faut un plus petit, mais y en a au
moins une bonne vingtaine de plus petits ! Tant pis. J'les prends
tous. Dommage pour le budget, ça va faire un peu mal. Il doit se
demander ce qu'il me prend le mec d'à côté. Soit il est admiratif
de penser que j'ai besoin d'autant de tournevis, car ce que je dois
faire doit être phénoménal. Ou alors il a compris et
là, c'est trop la honte. Il a compris vu qu'il sourit. Je la ramène
donc pas trop. Lui, c'est le type "chevronné". Si ! Ça
s'voit, avec sa petite liste et son chariot genre t'as vu tout ce que
j'vais prendre… et le crayon sur l'oreille, ça, ça trompe pas !
Va essayer de te faire tenir un crayon sur l'oreille, toi ! Il a déjà
plein de trucs dont j'ignorais l'existence dans son caddie et il
continue à le remplir. Comme il doit maîtriser… J'imagine sa
maison qu'il aura toute faite lui-même, en bois bien sûr, avec un
insert parce que ça chauffe bien mieux et c'est esthétique et des
panneaux solaires sur le toit parce qu'il faut penser à la planète.
Je suis sûre que sa femme ressemble à Barbie et qu'elle est
tellement fière de lui ! (Jalouse ? Euh… un peu.) Une promenade de
santé pour lui. Il n'a qu'un exemplaire de tout ce qu'il prend, lui,
bien sûr, et pas cet air désemparé de chien devant sa boîte de
pâtée fermée.
Je
repère un groupe de vendeurs qui me matent en coin. Ils attendent la
faille, le moindre signe de détresse pour me tomber dessus. Faut les
comprendre, remarque, côtoyant le Jacky toute la journée, quand une
Brenda se pointe avec son air de pas avoir inventé l'eau tiède,
c'est relâche ! C'est du tout cuit ! (et ptet plus si affinités).
Eh oui, la femme dans un magasin de bricolage, c'est une proie
facile. Elle est en position de faiblesse. Entourée de trucs virils
dont par définition elle ne sait pas se servir, il lui faudra
forcément un aiguilleur voire même un démonstrateur. Pensez-y les
mecs pour draguer ! Postulez chez Casto ! (Quoique, en fait, des
femmes, vous en verrez pas tant que ça, hormis des camionneuses,
mais bon…)
Je
regarde discrètement vers les vendeurs. Mignons comme tout, en plus.
"Houlà là, comment on se sert d'un tournevis, monsieur
bricolage ? Et on la met dans le petit trou la vis ? Avec le gros
tournevis ? C'est à vous tous ces muscles ? Han !" Et que ça
s'battrait pour m'expliquer.
Ben
oui, un magasin de bricolage, si c'est l'angoisse absolue pour une
femme (oui, c'est cliché, mais bon, dans les clichés y a toujours
un peu de vrai), pour les hommes, c'est une arène à combats de
coqs. C'est à qui aura le plus gros tournevis, la plus grosse
perceuse, le plus de planches dans son caddie. Qui aura l'outil le
plus compliqué et le talent de savoir s'en servir… Je soupçonne
même la plupart de se la jouer, au moins pour faire la paon devant
leur femme. "Mais si Jocelyne, bien sûr que ça rentre ! J'ai
pris les dimensions. Mais bien sûr que je peux te le fabriquer ton
jacuzzi. Y a rien de plus facile !" Ouais. Sauf que Gérard, il
va acheter tout le matos, et, la semaine prochaine, il reviendra le
rendre, ou, dans le meilleur des cas, si sa fierté ne supporte pas
le choc, il passera tout son dimanche après-midi prochain au magasin
de bricolage, tout seul en catimini (évidemment sans Jocelyne cette
fois), pour venir chercher les fiches-conseils de Monsieur Bricolage
qu'il avait pas prises la première fois avec Jocelyne soi-disant que
c'était dans les gènes de l'homme de maîtriser tout ça. Pensez-y
maintenant, les filles, quand vous mourrez d'admiration devant
Musclor en salopette, l'air déjà concentré sur les grandes
réalisations qu'il s'apprête à faire (ou pas) avec tout le contenu
de son caddie bien rempli. Parce que oui, avec Valérie Damidot et
Marc-Emmanuel, ça a l'air simple de transformer son taudis en photo
de brochure de chez Casto, deux-trois tits coups d'scie, un tit coup d'pinceau. Sauf que eux, ils sont cinquante à l'ouvrage pendant
une semaine avec un budget M6 et que toi, Gérard, t'es tout seul
avec ton PEL et ton livret A et que donc il te faudra travailler deux
ans jours et nuits pour faire pareil ou à peu près, si tu ne te
décourages pas avant…
En
tout cas, vous ne pourrez pas dire que je ne vous avais pas prévenus…
Et
mon joint de hublot ? J'ai même pas pris les fiches-conseils de
Monsieur Bricolage ! Non, j'ai carrément appelé Monsieur Bricolage
qui est venu me le changer. Mais au moins, la prochaine fois,
j'aurai forcément le bon tournevis…
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