Une petite mamie m'a dit
cette semaine qu'elle voulait partir ; mais pas en vacances,
non, « partir », le « Grand voyage » quoi !
Qu'elle était usée, fatiguée…
J'ai essayé de lui remonter le moral en lui disant qu'elle avait
encore de belles années à vivre, qu'on allait essayer ensemble de
trouver des moyens de lui redonner goût à la vie, mais là n'est
pas le sujet…
Ce serait plus à Christophe André ou à Jacques Salomé d'entrer en
action.
Et du coup, je pensais à
l'instant de la mort. Ce moment précis flanqué d'une date, d'une
heure, d'un soixantième d'heure et de minute et de seconde…
Ce moment où l'on n'est plus, alors que l'on a été. Ce moment qui
brise notre désir d'immortalité, qui fracasse notre sentiment de
toute-puissance, ce moment qui nous renvoie à l'état de larve quand
toute notre vie on a cru être un cygne…
Et
si je connaissais l'heure et la minute exacte de ma mort ? Je
ferais quoi ? Imaginez si à ma petite mamie déprimée j'avais
pu dire : « Ah, mais il va falloir tenir encore jusqu'au
22 décembre 2018, date à laquelle vos reins vont vous lâcher et où
vous allez mourir d'une septicémie ».
Et
en partant le matin, sachant que dans la journée j'allais mourir
dans un accident de voiture, penserais-je à éteindre l'électricité,
à vider le frigo, à fermer les volets ? Irais-je dire au
revoir aux voisins ? Et pourquoi alors, prendrais-je ma
voiture ? Essayerais-je d'éviter le drame ? Le pourrais-je
seulement ?
Me
retournerais-je alors sur ma vie pour faire le bilan ? Pour
savoir à qui léguer mes affaires ? Ou alors je déciderais de
m'en balancer, que ça aille là où ça voudrait. Au diable le
matériel, quand l'immatériel me tend les bras !
Ou
bien j'essaierais de créer des passerelles entre ce monde et celui
d'en haut, sachant que j'allais y être sous peu. Mais comment ?
En branchant un micro et en enregistrant le grésil ? Parce que
c'est bien connu, ça, le coup du haut-parleur qui recrache au milieu
d'un brouhaha d'ondes électromagnétiques des bribes de phrases
inaudibles venues d'outre-tombe…
Oui, je ferais ça. Et pourquoi pas un guéridon, des bougies
allumées et un mot demandant à mes proches de se rassembler tout
autour en invoquant mon prénom ? Et d'ailleurs, à ce propos me
vient une question : Pourquoi les morts qui arriveraient à
soulever une table d'une dizaine de kilogrammes, à faire glisser un
verre sur des mots chargés de signification ou à produire des
bruits de pas au grenier choisiraient ces actions absurdes et peu
parlantes pour rentrer en contact avec nous ? Ne pourraient-ils
pas, tant qu'ils y sont, faire sonner le téléphone, soulever le
combiné et dire ce qui les amène carrément ? Ou bien soulever
un stylo (puisqu'ils peuvent une table) et écrire directement le
message sur la feuille, au lieu de passer par quelqu'un d'autre qui
ne réussit jamais à retranscrire clairement le message escompté…
Si l'au-delà est obscur à nos âmes, il soulève en tout cas un
certain nombre d'incohérences…
Bon
et après ? Si je connaissais l'instant précis de ma mort,
aurais-je peur ? Peut-être les premières heures, les premiers
jours, les premiers mois, mais après ? M'habituerais-je ?
Me ferais-je une raison ? Pourrais-je noter cet événement dans
mon calendrier pour qu'il figure au milieu des rendez-vous chez le
coiffeur, des anniversaires et autres rendez-vous à ne pas manquer ?
Deviserais-je
avec mes pairs sur nos morts respectives ?
– Oh,
mince, mais alors tu viens pas dîner samedi ?
– Ben
non, du coup, désolé…
– Moi
chuis dégoûté je vais mourir dans vingt ans, d'un cancer du côlon,
avant mes parents… Ah merde ! C'qu'ils vont être tristes !
– Ouais
ben te plains pas, moi je meurs dans un accident d'avion aux
prochaines vacances… Ah ça m'énerve, on n'est jamais allés aux
Maldives ! Et il faut que ça tombe là ! »
Serait-ce
un acte libérateur de prendre sa propre mort avec sérénité ?
Qu'est-ce qui pourrait alors faire peur, lorsque l'on n'aurait plus
peur de mourir ? Et du coup, serions-nous moins angoissés ?
Plus pressés d'accomplir quelque chose ? Ou à l'inverse, nous
serions des êtres morts de trouille, incapables de ne penser à
autre chose, avec des idées de suicide plein la tête ? Et
pourtant, si on y réfléchit bien, on l'a tous cette épée de
Damoclès sur la tête, la seule différence, c'est qu'on ne sait ni
quand, ni comment…
L'aveuglement
nous sauve ? De savoir nous tuerait ?
Ne
nous adapterions-nous pas tout simplement ? En vivant pareil
mais avec cette échéance en tête ? Et alors, peut-être que
nous vivrions mieux ? Peut-être que nos orgueils en prendraient
un coup ? Que l'on verrait moins l'intérêt d'accumuler qu'en
se pensant immortels ? Peut-être qu'on irait à l'essentiel ?
Que notre cerveau, en se gardant un temps pour se préparer à
l'inévitable, nous permettrait de garder les pieds sur terre ?
Peut-être qu'on accéderait mieux au sens véritable de la vie sur
terre ? Qu'on se concentrerait un peu plus sur lui ?
Qui
sait…
Un
peu de courage, les enfants, allons !
Dring !
Oh scusez-moi, téléphone.
« Allô ?
La Fille qui ratait tout ?
– Euh…
Oui ?
– C'est
Dieu à l'appareil.
– Ah ?
Bonjour…
– Alors
puisque tu veux savoir… Tu meurs le…
Bip bip bip
– Ah ?
On a dû être coupés… » :-)
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