Prologue ou Histoire de la fille qui ratait tout

Je ressens le besoin d'écrire mon histoire, de me raconter, comme si j'avais besoin des mots pour me sortir d'une impasse, d'un mal être, d'une incapacité à aller de l'avant. J'ai l'impression d'avoir fini un cycle, d'avoir bouclé une boucle, et d'en avoir saisi le mécanisme, de cette boucle, comme un système complexe et bien rodé dont on finit par percevoir le fonctionnement.

Et à trente ans – trente deux exactement – je crois que je peux le dire, j'en suis là, à ce moment de ma vie où je commence à comprendre mon fonctionnement. J'ai découvert qui j'étais : la fille qui rate tout.

dimanche 22 septembre 2013

La mort vous va si bien...

J'ai envie d'écrire sur la mort. Pas très gai, je sais.

Une petite mamie m'a dit cette semaine qu'elle voulait partir ; mais pas en vacances, non, « partir », le « Grand voyage » quoi ! Qu'elle était usée, fatiguée… J'ai essayé de lui remonter le moral en lui disant qu'elle avait encore de belles années à vivre, qu'on allait essayer ensemble de trouver des moyens de lui redonner goût à la vie, mais là n'est pas le sujet… Ce serait plus à Christophe André ou à Jacques Salomé d'entrer en action.
 
Et du coup, je pensais à l'instant de la mort. Ce moment précis flanqué d'une date, d'une heure, d'un soixantième d'heure et de minute et de seconde… Ce moment où l'on n'est plus, alors que l'on a été. Ce moment qui brise notre désir d'immortalité, qui fracasse notre sentiment de toute-puissance, ce moment qui nous renvoie à l'état de larve quand toute notre vie on a cru être un cygne…
 
Et si je connaissais l'heure et la minute exacte de ma mort ? Je ferais quoi ? Imaginez si à ma petite mamie déprimée j'avais pu dire : « Ah, mais il va falloir tenir encore jusqu'au 22 décembre 2018, date à laquelle vos reins vont vous lâcher et où vous allez mourir d'une septicémie ».
 
Et en partant le matin, sachant que dans la journée j'allais mourir dans un accident de voiture, penserais-je à éteindre l'électricité, à vider le frigo, à fermer les volets ? Irais-je dire au revoir aux voisins ? Et pourquoi alors, prendrais-je ma voiture ? Essayerais-je d'éviter le drame ? Le pourrais-je seulement ?
 
Me retournerais-je alors sur ma vie pour faire le bilan ? Pour savoir à qui léguer mes affaires ? Ou alors je déciderais de m'en balancer, que ça aille là où ça voudrait. Au diable le matériel, quand l'immatériel me tend les bras !
 
Ou bien j'essaierais de créer des passerelles entre ce monde et celui d'en haut, sachant que j'allais y être sous peu. Mais comment ? En branchant un micro et en enregistrant le grésil ? Parce que c'est bien connu, ça, le coup du haut-parleur qui recrache au milieu d'un brouhaha d'ondes électromagnétiques des bribes de phrases inaudibles venues d'outre-tombe… Oui, je ferais ça. Et pourquoi pas un guéridon, des bougies allumées et un mot demandant à mes proches de se rassembler tout autour en invoquant mon prénom ? Et d'ailleurs, à ce propos me vient une question : Pourquoi les morts qui arriveraient à soulever une table d'une dizaine de kilogrammes, à faire glisser un verre sur des mots chargés de signification ou à produire des bruits de pas au grenier choisiraient ces actions absurdes et peu parlantes pour rentrer en contact avec nous ? Ne pourraient-ils pas, tant qu'ils y sont, faire sonner le téléphone, soulever le combiné et dire ce qui les amène carrément ? Ou bien soulever un stylo (puisqu'ils peuvent une table) et écrire directement le message sur la feuille, au lieu de passer par quelqu'un d'autre qui ne réussit jamais à retranscrire clairement le message escompté… Si l'au-delà est obscur à nos âmes, il soulève en tout cas un certain nombre d'incohérences…
 
Bon et après ? Si je connaissais l'instant précis de ma mort, aurais-je peur ? Peut-être les premières heures, les premiers jours, les premiers mois, mais après ? M'habituerais-je ? Me ferais-je une raison ? Pourrais-je noter cet événement dans mon calendrier pour qu'il figure au milieu des rendez-vous chez le coiffeur, des anniversaires et autres rendez-vous à ne pas manquer ?
 
Deviserais-je avec mes pairs sur nos morts respectives ?
« Ah je viens d'apprendre la meilleure ! Je meurs demain, d'une crise cardiaque ! 
– Oh, mince, mais alors tu viens pas dîner samedi ? 
– Ben non, du coup, désolé… 
 
– Moi chuis dégoûté je vais mourir dans vingt ans, d'un cancer du côlon, avant mes parents… Ah merde ! C'qu'ils vont être tristes ! 
 
– Ouais ben te plains pas, moi je meurs dans un accident d'avion aux prochaines vacances… Ah ça m'énerve, on n'est jamais allés aux Maldives ! Et il faut que ça tombe là ! »
 
Serait-ce un acte libérateur de prendre sa propre mort avec sérénité ? Qu'est-ce qui pourrait alors faire peur, lorsque l'on n'aurait plus peur de mourir ? Et du coup, serions-nous moins angoissés ? Plus pressés d'accomplir quelque chose ? Ou à l'inverse, nous serions des êtres morts de trouille, incapables de ne penser à autre chose, avec des idées de suicide plein la tête ? Et pourtant, si on y réfléchit bien, on l'a tous cette épée de Damoclès sur la tête, la seule différence, c'est qu'on ne sait ni quand, ni comment…
 
L'aveuglement nous sauve ? De savoir nous tuerait ?
 
Ne nous adapterions-nous pas tout simplement ? En vivant pareil mais avec cette échéance en tête ? Et alors, peut-être que nous vivrions mieux ? Peut-être que nos orgueils en prendraient un coup ? Que l'on verrait moins l'intérêt d'accumuler qu'en se pensant immortels ? Peut-être qu'on irait à l'essentiel ? Que notre cerveau, en se gardant un temps pour se préparer à l'inévitable, nous permettrait de garder les pieds sur terre ? Peut-être qu'on accéderait mieux au sens véritable de la vie sur terre ? Qu'on se concentrerait un peu plus sur lui ?
 
Qui sait…
 
Un peu de courage, les enfants, allons !
 
Dring ! Oh scusez-moi, téléphone.
 
« Allô ? La Fille qui ratait tout ?
– Euh… Oui ?
– C'est Dieu à l'appareil.
– Ah ? Bonjour…
– Alors puisque tu veux savoir… Tu meurs le…

Bip bip bip

– Ah ? On a dû être coupés… » :-)

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