Prologue ou Histoire de la fille qui ratait tout

Je ressens le besoin d'écrire mon histoire, de me raconter, comme si j'avais besoin des mots pour me sortir d'une impasse, d'un mal être, d'une incapacité à aller de l'avant. J'ai l'impression d'avoir fini un cycle, d'avoir bouclé une boucle, et d'en avoir saisi le mécanisme, de cette boucle, comme un système complexe et bien rodé dont on finit par percevoir le fonctionnement.

Et à trente ans – trente deux exactement – je crois que je peux le dire, j'en suis là, à ce moment de ma vie où je commence à comprendre mon fonctionnement. J'ai découvert qui j'étais : la fille qui rate tout.

samedi 22 novembre 2014

Original

J'aurais aimé être quelqu'un d'original. Au lieu de ça, je suis banale. Parfois j'ai des passions subites, je me lance à fond dans un truc, la cuisine, la couture, la mosaïque, la poterie, j'achète les bouquins, le matos, je regarde les tutoriels et tout et puis, en une fraction de seconde, je me rends compte que je m'en fous, en fait. De plus en plus… Je m'en fous en fait. Alors je ne me lance plus dans rien.

Dans ma voiture, le soir, en rentrant du boulot, comme un zombie qu'a même plus le sentiment du devoir accompli, je m'imagine avec un rôle à jouer : la mère de famille, la femme d'affaires, la fille convaincue de quelque chose, quoi. Mais non, rien. Chuis pas convaincue et je ne l'ai jamais été. Vaincue, depuis toujours, mais pas con.
 
J'voudrais me lever le matin avec le déroulé de ma journée en tête et pas une tête à ajourner le moindre élan vital qui s'empare de moi. Je me lève et plus rien ne me bouscule, comme d'habitude. Je me demande pourquoi je me suis levée et si j'aurais pas mieux fait de rester couchée. Mes chaussons usés, égarés sous mon lit, ne m'attendent même plus dès le tocsin du réveil. Alors j'affronte le froid du carrelage, les yeux à peine dessillés, me demandant vers quel but me guident mes pieds niqués. Et puisqu'il faut quand même nourrir la boîte à idées, mon univers approximatif me saute aux yeux et s'abat sur moi en une pluie de reproches : les toiles d'araignée d'où pendent leurs pensionnaires qui se verraient bien tortionnaires si seulement j'étais plus petite pour me prendre à leurs filets (patience, Charlotte. Vu la vitesse à laquelle l'univers se réduit autour de moi, dans quelque temps, tu auras ma peau) ; Les particules de poussière qui voltigent sous les rais de lumière m'indiquent qu'une épaisse couche de poussière aurait besoin d'un coup de plumeau comme les brumes de mon cerveau. Je fais un travelling circulaire sur mes étagères encombrantes et encombrées de trucs inutiles, entassés au fil du temps quand l'avenir s'imaginait encore en couleurs. Du temps où les objets avaient une âme et pouvaient toujours servir. Mais quand moi-même je n'ai plus d'âme, une folle envie de tout jeter m'envahit, un autodafé de tous ces trucs auxquels je croyais, un grand bûcher des vanités, pour retrouver l'empreinte originelle, l'essentielle, la souciance après l'insouciance, pour m'alléger. J'ai une de ces envies de m'alléger. Quand je vois ces gens qui s'achètent tout ce qui passe, ça me donne la gerbe. Ils ont pensé à leurs enfants, une fois qu'ils seront eux-mêmes emballés dans leur caisson, qui vont devoir se taper le tri dans tout ça ? Et puis ça leur apporte quoi d'avoir tout ce qui passe ? Une satisfaction d'un jour ou deux, après ils sont blasés. On amasse un temps et puis on comprend que c'était une grande mascarade, un truc pour noyer le poisson, et que tout ce fatras de trucs ne t'apporte rien, au fond, que des ennuis. Des piles à changer, des fils à brancher, des places à trouver, des cartons à empiler… les fils qui s'touchent, les mouches qui défilent, c'est tout, en somme, en regardant bien.

Je ferai pas le ménage. À quoi ça sert d'enlever la poussière qui finit toujours par se redéposer. Qu'elle ensevelisse tout, la satanée poudreuse, qu'elle fasse disparaître cet univers de polypropylène, polyéthylène, polyuréthane, tous ces poly odieux qui polluent la planète et l'esprit. Glorifions la poussière vu que tout finit par elle.

Je suis allée courir. Ou mourir, je ne sais plus vu que j'ai eu l'impression de rendre mon dernier souffle après avoir rendu mes tripes. Une impulsion au moment où mon ex qui vient de se faire larguer me rappelait pour tenter le rabibochage. Fuyons ! Me crièrent mes cellules encore d'attaque, tandis que les autres commençaient à sédimenter au fond du pot (ça ne pouvait donc pas leur faire de mal). J'avais besoin d'être secouée et de gratter la pulpe qui commençait à s'accrocher.
 
J'ai couru, comme si j'étais poursuivie par le tigre de la Seine-et-Marne, avec le même essoufflement de chameau. J'ai croisé des gens à qui j'ai dit bonjour (enfin "bonj OUH…" la deuxième syllabe étant avalée par l'essoufflement) avant de m'apercevoir qu'ils avaient des écouteurs à la place des oreilles. L'effet décolle-pulpe de la suroxygénation a créé un tourbillon d'idées décousues, je dépassais des gens sans visage, à qui je disais "Bonj OUH" mais du coup, qui ne pouvaient pas me répondre. Arrivée dans le bois, j'ai vraiment eu peur de croiser le tigre de Tarascon ou plutôt le chat qui se prenait pour un tigre. Et s'ils s'étaient trompés, que c'était bien un tigre et qu'il avait franchi la frontière de la Seine-et-Marne depuis ? Je sortis assez rapidement du bois, je passai devant les jeux pour enfants déserteurs (comme d'hab' ça préfère entretenir sa future tendinite du pouce) et je rentrai chez moi me recoucher, non sans avoir fait ma prière du soir.
 
 

2 commentaires:

  1. Bien senti comme d'hab' !
    Mais pas très gai. Tu me diras: c'est pas fait pour ça, un blog comme celui-ci, on n'est pas là pour rigoler.
    Toi je ne sais pas mais le lecteur est sur le fil, lui... L'équilibre n'est pas très stable, et il ne sait vers quel coté tu vas l'embarquer... Alors il attend avec impatience le prochain billet !

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    1. Coucou Eric ! Contente de te revoir ! :-)
      Je ne sais moi-même pas vers où je m'embarque, comment veux-tu que je sache vers où j'embarque le lecteur...
      Bises !

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