Dans
ma voiture, le soir, en rentrant du boulot, comme un zombie qu'a même
plus le sentiment du devoir accompli, je m'imagine avec un rôle à
jouer : la mère de famille, la femme d'affaires, la fille convaincue
de quelque chose, quoi. Mais non, rien. Chuis pas convaincue et je ne
l'ai jamais été. Vaincue, depuis toujours, mais pas con.
J'voudrais
me lever le matin avec le déroulé de ma journée en tête et pas
une tête à ajourner le moindre élan vital qui s'empare de moi. Je
me lève et plus rien ne me bouscule, comme d'habitude. Je me demande
pourquoi je me suis levée et si j'aurais pas mieux fait de rester
couchée. Mes chaussons usés, égarés sous mon lit, ne m'attendent
même plus dès le tocsin du réveil. Alors j'affronte le froid du
carrelage, les yeux à peine dessillés, me demandant vers quel but
me guident mes pieds niqués. Et puisqu'il faut quand même nourrir
la boîte à idées, mon univers approximatif me saute aux yeux et
s'abat sur moi en une pluie de reproches : les toiles d'araignée
d'où pendent leurs pensionnaires qui se verraient bien tortionnaires
si seulement j'étais plus petite pour me prendre à leurs filets
(patience, Charlotte. Vu la vitesse à laquelle l'univers se réduit
autour de moi, dans quelque temps, tu auras ma peau) ; Les particules
de poussière qui voltigent sous les rais de lumière m'indiquent
qu'une épaisse couche de poussière aurait besoin d'un coup de
plumeau comme les brumes de mon cerveau. Je fais un travelling
circulaire sur mes étagères encombrantes et encombrées de trucs
inutiles, entassés au fil du temps quand l'avenir s'imaginait encore
en couleurs. Du temps où les objets avaient une âme et pouvaient
toujours servir. Mais quand moi-même je n'ai plus d'âme, une folle
envie de tout jeter m'envahit, un autodafé de tous ces trucs
auxquels je croyais, un grand bûcher des vanités, pour retrouver
l'empreinte originelle, l'essentielle, la souciance
après l'insouciance, pour m'alléger. J'ai une de ces envies de
m'alléger. Quand je vois ces gens qui s'achètent tout ce qui passe,
ça me donne la gerbe. Ils ont pensé à leurs enfants, une fois
qu'ils seront eux-mêmes emballés dans leur caisson, qui vont devoir
se taper le tri dans tout ça ? Et puis ça leur apporte quoi d'avoir
tout ce qui passe ? Une satisfaction d'un jour ou deux, après ils
sont blasés. On amasse un temps et puis on comprend que c'était une
grande mascarade, un truc pour noyer le poisson, et que tout ce
fatras de trucs ne t'apporte rien, au fond, que des ennuis. Des piles
à changer, des fils à brancher, des places à trouver, des cartons
à empiler…
les fils qui s'touchent, les mouches qui défilent,
c'est tout, en somme, en regardant bien.
Je ferai pas le ménage. À quoi ça sert d'enlever la poussière qui finit toujours par se redéposer. Qu'elle ensevelisse tout, la satanée poudreuse, qu'elle fasse disparaître cet univers de polypropylène, polyéthylène, polyuréthane, tous ces poly odieux qui polluent la planète et l'esprit. Glorifions la poussière vu que tout finit par elle.
Je
suis allée courir. Ou mourir, je ne sais plus vu que j'ai eu
l'impression de rendre mon dernier souffle après avoir rendu mes
tripes. Une impulsion au moment où mon ex qui vient de se faire
larguer me rappelait pour tenter le rabibochage. Fuyons ! Me crièrent
mes cellules encore d'attaque, tandis que les autres commençaient à
sédimenter au fond du pot (ça ne pouvait donc pas leur faire de
mal). J'avais besoin d'être secouée et de gratter la pulpe qui
commençait à s'accrocher.
J'ai
couru, comme si j'étais poursuivie par le tigre de la
Seine-et-Marne, avec le même essoufflement de chameau. J'ai croisé
des gens à qui j'ai dit bonjour (enfin "bonj OUH…"
la deuxième syllabe étant avalée par l'essoufflement) avant de
m'apercevoir qu'ils avaient des écouteurs à la place des oreilles.
L'effet décolle-pulpe de la suroxygénation a créé un tourbillon
d'idées décousues, je dépassais des gens sans visage, à qui je
disais "Bonj OUH" mais du coup, qui ne pouvaient pas me
répondre. Arrivée dans le bois, j'ai vraiment eu peur de croiser le
tigre de Tarascon ou plutôt le chat qui se prenait pour un tigre. Et
s'ils s'étaient trompés, que c'était bien un tigre et qu'il avait
franchi la frontière de la Seine-et-Marne depuis ? Je sortis assez
rapidement du bois, je passai devant les jeux pour enfants déserteurs
(comme d'hab' ça préfère entretenir sa future tendinite du pouce)
et je rentrai chez moi me recoucher, non sans avoir fait ma prière
du soir.
Bien senti comme d'hab' !
RépondreSupprimerMais pas très gai. Tu me diras: c'est pas fait pour ça, un blog comme celui-ci, on n'est pas là pour rigoler.
Toi je ne sais pas mais le lecteur est sur le fil, lui... L'équilibre n'est pas très stable, et il ne sait vers quel coté tu vas l'embarquer... Alors il attend avec impatience le prochain billet !
Coucou Eric ! Contente de te revoir ! :-)
SupprimerJe ne sais moi-même pas vers où je m'embarque, comment veux-tu que je sache vers où j'embarque le lecteur...
Bises !