Prologue ou Histoire de la fille qui ratait tout

Je ressens le besoin d'écrire mon histoire, de me raconter, comme si j'avais besoin des mots pour me sortir d'une impasse, d'un mal être, d'une incapacité à aller de l'avant. J'ai l'impression d'avoir fini un cycle, d'avoir bouclé une boucle, et d'en avoir saisi le mécanisme, de cette boucle, comme un système complexe et bien rodé dont on finit par percevoir le fonctionnement.

Et à trente ans – trente deux exactement – je crois que je peux le dire, j'en suis là, à ce moment de ma vie où je commence à comprendre mon fonctionnement. J'ai découvert qui j'étais : la fille qui rate tout.

lundi 28 janvier 2013

Tarantino

En allant voir ce film, je me suis rendue compte de la dualité de mon être d'une façon prégnante. Je suis plutôt du genre conciliante, même si mon désespoir a révélé chez moi depuis quelques années une espèce de rancune exponentielle pour le genre humain et la condition humaine de manière plus générale qui me fait de moins en moins considérer mon semblable avec cet œil de toubab à dépouiller. C'est-à-dire que de plus en plus, j' « ouvre ma bouche » pour dire ce qui ne va pas, comme si mes années de silence et de « on se fait pas remarquer » me revenaient en pleine gueule et réclamaient dédommagement. Ajouté à mes nombreuses frustrations qui cherchent un exutoire, (et peut-être nées de ce silence que je m'imposais ou que les autres m'imposaient je ne sais plus) je suis la Lucky Luke du retour de bâton, la reine du pied dans l'plat, la championne du revers lifté, j'ai plus rien à perdre et j'y vais. Je crois aussi que j'ai besoin de me prouver que je suis pas une dégonflée qui rentre dans sa coquille à la moindre bisbille pour « pas faire de vagues ». Non, j'en veux des vagues, des grosses vagues bien écumeuses à t'écraser la tronche par terre. J'ai presque l'impression même que c'est un jeu, un exercice que je m'impose. « Aucune injustice tu n'essuieras sans rechigner, sans répliquer ! » Voilà mon commandement. « Rechigne et réplique ! »
Même si ça doit me jouer des tours et me faire culpabiliser, comme hier soir… Je vais voir le dernier Tarantino (quelle idée déjà avec un tel état d'esprit : un Tarantino, ça réveille le psychopathe qui est en toi, c'est super dangereux.) Soit. J'avais déjà passé la dernière séance de cinéma avec mon ami à me glisser de siège en siège afin de satisfaire le confort personnel de fessiers étrangers ne pouvant supporter l'idée de ne point se réaliser ensemble côte à côte dans cette activité pourtant hautement autistique qu'est le visionnage d'un film au cinéma. Bref, on s'était décalés, bien que le film fût commencé et que nous pâtissions forcément du saut scénaristique engendré. Fussé-je bien claire ? (Tiens je suis en train de me dire que ça fout les boules, l'imparfait du subjonctif.) Donc. On s'est décalés une fois, mais non content de nous faire suffisamment chier, un autre fessier étranger a récidivé, cette fois en faisant décaler l'ensemble de la rangée. Alors, bien gentiment, mais en n'en pensant pas moins, on s'est re-décalés. Bref. Le terrain était miné de ce côté-ci de ma susceptibilité, quoi, et hier, alors qu'on était bien installés, qu'on commençait à sentir la chaleur de nos séants irradier le moelleux du fauteuil, une dame avec marmot repère les deux places situées chacune à l'extrémité de la rangée où nous avions élu domicile le temps de cette séance, et c'est elle qui a ramassé. Elle s'assoit et bien sûr, les mots tant attendus ont fini par franchir la barrière de ses lèvres : « Pou-rriez-vous-vous-dé-ca-ler, s'il vous plaît, mademoiselle, pour que je puisse être à côté de mon fils… » Snif, la corde sensible, la traîtresse ! Je regarde l'enfant en question, avec mon œil bovin (celui de la circonstance je veux dire), petit être perdu sans sa môman, à la dérive, prêt à décrocher de notre frêle esquif molletonnée… Et de ce même œil bovin, je regarde devant moi la béance des fauteuils vides qui attendent, avec autant d'impatience que le gamin sa môman, le cul salutaire qui voudra bien poser son fondement sur leurs assises bienveillantes. Mais non, la mômam, il fallut qu'elle nous fasse chier. Alors peu coopérante, j’acquiesce tout en lui faisant remarquer qu'il va falloir faire se déplacer tout le monde et que pourtant il y a de la place devant. « Oui, mais devant, comprenez, on a le nez collé sur l'écran » « Et ma main collée sur ta gueule, ça le fait ?! » J'ai pas dit ça comme ça. Et on s'est finalement décalés. C'est pas grand-chose, c'est vrai, un peu d'humanité, quoi, vous vous dites… Mais merde, moi j'ose même pas faire décaler les gens au ciné, parce que si j'arrive après tout le monde, déjà, je me dis que je suis en tort, ensuite, les gens, ils ont commencé à regarder l'écran qui vient de s'allumer, voire le film, ils ont choisi scrupuleusement leur place, ils ont bien mis leur petit manteau à côté, de quel droit je détruirais leur petit coin de paradis au profit du mien ? Oui, je sais que j'ai tort, que c'est rien, et d'ailleurs je sais pas pourquoi j'en ai fait tout un plat de ce truc-là… J'ai culpabilisé, croyez-moi, de ne pas avoir ouvert mon cœur spontanément et de rabouler Lucky Luke pour si peu… Mais désolée, madame, désolée, petit, mais si je viens voir Tarantino, et toi d'ailleurs, gamin, tu devrais pas être dans cette salle, c'est parce qu'il répond à mes envies de meurtre…

7 commentaires:

  1. Trouver sa place, prendre sa place, revendiquer son droit à sa place, oser "dé-ranger" les autres d'une rangée pour se "ranger" soi-même...
    C'est plus facile pour certains que pour d'autres, c'est sûr. Nous sommes tous conditionnés par le vécu dans l'enfance, la place qu'on a eue, qu'on nous a laissée, qu'on nous a faite, ou pas. A commencer par les circonstances de notre conception et de notre naissance.
    Cette place qu'on cherche durant des années à tâtons, parfois justement en "ne tenant pas en place", en changeant de job, de logement ou de partenaire régulièrement, on finit par la trouver au bout d'un certain temps de travail sur soi, un peu comme la cerise sur le gâteau, quand beaucoup de choses sont enfin réglées, à leur place, on comprend alors que notre place est unique et ne correspond à celle de personne d'autre, que nous ne ressemblons à personne, que nous sommes bien Un dividu et que c'est bien à nous de créer notre propre Voie. Nous pouvons alors enfin occuper notre place en conscience, avec notre libre-arbitre. Mais d'abord, il nous faut occuper notre corps, car une coquille vide ne peut pas trouver sa place.

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  2. Une coquille vide, non, c'est vrai... Une coquille vide, on la jette. :-( Une coquille pleine, on la range... mais où ? C'est ça ? ;-)

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  3. Il est primordial de savoir se servir de son esprit conscient et de se rappeler qu’une action répétée crée une habitude, une habitude maintenue forge un caractère et que le caractère conditionne en grande partie la destinée.

    l'esprit conscient peut nous imposer des limites physiques et mentales souvent inutiles car il est excessivement critique et incrédule. Lorsque votre esprit conscient souffre de blocages psychologiques, il peut être avantageux de les contourner pour aller programmer directement votre subconscient.

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  4. Naaan pas dans la boîboîte la coquille pleine, ça ne marche pas !
    L'histoire de l'esprit conscient, c'est pas moi, c'est un autre anonyme !!! Perso, j'ai un doute sur la définition de l'esprit conscient selon lui (ou elle).
    Je pense qu'il-elle oppose l'esprit conscient à l'inconscient, qui est parfois amalgamé au subconscient selon les écoles...passons.

    Le travail sur soi, quand il est efficace, aboutit à une élévation du niveau de conscience. Cela ne signifie pas que l'inconscient n'existe plus, je mets quiconque au défi - et il existe des prétentieux à ce sujet malheureusement - de prétendre qu'il a fait le tour de son inconscient et que donc celui-ci n'est plus du tout "inconscient".
    Programmer directement le subconscient, ça me laisse dubitative. Il faut d'abord me semble-t-il déprogrammer certaines résistances, croyances, procédures de notre conscient...une fois qu'on les a identifiées, qu'on a compris pourquoi elles étaient là, à quoi elles nous servaient et qu'on reconnait consciemment qu'elles n'ont plus d'utilité car nous changeons.
    Un exemple simple : pendant des années, j'ai beaucoup déjeuné le matin, j'avais super faim le matin, et il me fallait un petit déj vraiment copieux pour pouvoir aborder la journée. Un jour, alors enceinte de mon 3ème enfant, comme j'avais des soucis d'oedème trop importants, on m'a envoyée consulter une nutritionniste-diététicienne pour m'aider avec cette rétention d'eau dangereuse.
    Lorsqu'on a abordé les rites des repas, elle m'a demandé pourquoi je déjeunais autant le matin. Oui pourquoi ? Ben pour tenir si je devais zapper le midi car trop de boulot, ça arrive. Oui mais là, en congé maternité à un mois de l'accouchement ? Ben, heu...on sait jamais, si je ne mangeais plus de la journée jusqu'au soir. Ben oui mais pourquoi ne plus manger ???...Tout à coup, prise de conscience : j'ai crevé la dalle dans mon enfance, c'était la misère, sans électricité, sans chauffage, sans eau chaude, à la bougie, des journées entières sans rien à manger, crampes d'estomac, la faim. Un repas pris était un repas de pris, sans savoir quand serait le prochain...
    En seulement 2 séances avec cette spécialiste, j'ai pris conscience de ce mécanisme, et d'office, mes petits dej sont devenus "normaux". Un exemple vécu de compréhension via la conscientisation.
    La conscience n'impose pas de limite, au contraire, la conscience véritable les abolit, et nous permet enfin de sa-voir de se voir, de voir et ressentir qui nous sommes réellement, libérés des fausses limites et des croyances infusées depuis notre enfance.

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    1. Cela aussi m'arrivait d'être agressif dans des situations ordinaires. Je méprisais alors mes semblables. Je n'étais pas compatissant. Près à exploser intérieurement en toute occasion, prêt à rugir de rage. C'est que je suis bipolaire, et je pense que tu l'es aussi chere fille qui ratait tout, toi passant par de périodes maniaques agressives ou exhubérantes, ou par des phases où tu es dépressive, triste, déçue de toi et des autres. Il arrive aussi que tu paraisse être en manie et en dépression en même temps, passant très vite des envolées lyriques aux pensées les plus noires, ce qui pourrait signifier que tu es sans doute aussi bipolaire mixte comme je le suis. Je connais très bien le trouble bipolaire. Je t'en avais déjà parlé. On se connait. Bon courage. Ton email ne marche plus. Pascal C.

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    2. Voilà ce qui s'appelle typiquement une projection. Mécanisme presque "automatique" chez la plupart des personnes. Il est toujours plus facile d'attribuer à autrui ce qu'on a du mal à assumer pour soi car c'est souvent trop douloureux.
      Nul ne peut prétendre poser un diagnostic en lisant un blog. Tous les pros de la sphère psy le diront.
      L'écrit peut tout au plus permettre de "lire" la teneur de certaines pensées (récurrentes ou pas), mais en aucun cas ne peut être tenu pour un support fiable de par sa nature "artificielle".
      On ne livre que ce qu'on veut bien livrer à l'écrit, on choisit de mettre en scène, de "donner à voir" des parcelles soigneusement travaillées, sophistiquées. C'est un produit fini, bien loin du brut de l'inconscient, quand bien même la démarche d'écriture amène à des éclairages internes.

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  5. Je réagis à ton écrit sur les salles obscures. C’est un lieu où l’on peut observer bien des choses et j’ai ri en te lisant. À mon tour de témoigner…
    Ma compagne et moi-même sommes des habitués du cinéma et nous avons observé des comportements qui nous ont sidérés… Après t’être fait piétiné les pieds, avoir translaté ton popotin d’un siège l’autre, comme tu le dis si bien… et après avoir enduré le fracas discret du froissement des papiers de bonbon… une fois sur deux, je suis aveuglé pas les téléphones portables des gens qui n’ont cure de ce qui se passe sur le grand écran mais qui s’activent sur leurs quelques centimètres carrés. Bref… La chose dont je voudrais te parler est l’issue du film… Brusquement, la dernière image à peine sombrée dans le générique, la populace se lève… rassemble ses affaires et te presse d’en faire autant. Toi, tu te tords le cou pour lire les quelques lignes qui défilent et qui témoignent du travail de ceux qui ont œuvré à ton plaisir, à tes émotions… Mais ont-ils des émotions ces sauvages qui se lèvent, le visage impassible laissant les débris de leurs passage dans la salle… Peut-on, d’un coup sortir du climat du film, des émotions qu’il a suscité… Je ne demande pas aux spectateurs de rire, de pleurer ou d’applaudir… mais qu’au moins ils ne dérangent pas ceux qui vont jusqu’au bout.
    Virgile
    Virgile69fr@yahoo.fr

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